La Semaine Rouge : Rouen en flammes sous les bombes alliées

Rédigé le 30/05/2024
Ystory


« La semaine rouge » est une semaine de terreur et de destruction qui marque à jamais la mémoire de la ville de Rouen. Entre le 30 mai et le 5 juin 1944, cette ville historique, connue pour ses cent clochers, devient le théâtre d'un des épisodes les plus dévastateurs de la Seconde Guerre mondiale. Surnommée la "Semaine rouge", cette période voit les forces alliées mener des bombardements intensifs sur Rouen pour affaiblir les défenses allemandes en préparation du Débarquement de Normandie. Cet article vous invite à plonger dans les événements tragiques de cette semaine, en explorant les contextes historiques, les événements marquants, et les conséquences dévastatrices pour la ville et ses habitants.

La semaine rouge: le contexte historique 

Pourquoi Rouen ?

Vue des quais depuis la rive droite de Rouen, avant la première guerre mondiale

Depuis juin 1940, Rouen, comme une grande partie de la France, vit sous l'occupation allemande. La ville, située stratégiquement sur la Seine, est un point crucial pour les forces nazies. Lors de la conférence de Téhéran en 1943, Churchill, Staline et Roosevelt décident que le Débarquement aura lieu en Normandie. Pour réussir cette opération d'envergure, il est impératif de désorganiser les lignes d'approvisionnement allemandes.

 

Ainsi, les bombardements sur Rouen visent à détruire à la fois les ponts, le port, les quais, ainsi que la gare de triage à Sotteville-lès-Rouen. Ainsi sont visées toutes les infrastructures nécessaires aux transports de troupes et de matériel militaire allemands, afin d’empêcher l'arrivée de renforts sur les plages du Débarquement. Naturellement Rouen devient une cible prioritaire pour les Alliés, qui cherchent à affaiblir la logistique allemande avant le lancement de l'opération Overlord.

Rouen, la Semaine Rouge : Chronologie des événements

30 mai 1944 : Début de la Semaine Rouge

L'hotel des Douanes de Rouen en 1910

Le matin du 30 mai 1944, les habitants de Rouen sont réveillés par le grondement des avions alliés. Les premières vagues de bombardements commencent. Des bombes de 500 à 2 000 kg pleuvent sur la ville, ciblant les ponts et les installations stratégiques. L'hôtel des Douanes, sur le quai du Havre, est largement détruit. Plus de 140 personnes, qui avaient cherché refuge dans les caves de l''hôtel des Douanes, périssent sous les décombres.

31 mai 1944 : Intensification des Bombardements

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Le pont Boieldieu détruit en juin 1944

Le lendemain, les bombardements redoublent d'intensité. Les avions alliés ciblent systématiquement les ponts pour couper les lignes de communication et de ravitaillement allemandes. Le pont Boieldieu est touché, et deux jours plus tard, les arches du viaduc d’Eauplet sont rasées. Les habitants, pris au piège entre les flammes et les débris, tentent désespérément de se protéger. Les pompiers et les secours sont débordés par l'ampleur de la destruction.

1er juin 1944 : Une Journée de Terreur

Le théâtre des Arts de Rouen en 1908, détruit en 1944 et remplacé depuis.

Le 1er juin, à 9h30, un bombardement provoque une panne d'électricité généralisée. La panique s'empare de la population alors que les agents municipaux, munis de sifflets, essaient d'alerter les citoyens. Les églises Saint-Maclou et Saint-Vincent, ainsi que le Théâtre des Arts, sont gravement endommagés. Les quartiers du bas de la rue Jeanne-d'Arc et les quais de Seine sont en ruines. Les habitants vivent dans la terreur constante, sachant que chaque jour apporte son lot de destructions et de pertes humaines.

2-4 juin 1944 : Destruction et Dévastation

La Cathédrale de Rouen en feu  après le dernier bombardement sur la ville.

Les bombardements se poursuivent sans relâche. Le 2 juin, la cathédrale Notre-Dame est touchée, sa tour Saint-Romain brûle et la cloche Jeanne d'Arc fond sous l'intensité du feu. Les quais de Seine, ciblés pour leur importance stratégique, ne sont plus qu'un vaste champ de gravats.

 

Les quartiers résidentiels de la rive gauche, notamment les rues Saint-Sever et Lafayette, sont méconnaissables. Les flammes ravagent la ville, malgré les efforts des pompiers et des ouvriers d'usine venus prêter main-forte. Le 4 juin, les bombardements sont moins intenses, mais les dégâts sont déjà irréparables.

5 juin 1944 : Fin de la Semaine Rouge

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La ville de Rouen après les bombardements alliés en 1944.

Le 5 juin marque la fin des bombardements intenses. La ville est en ruines, avec plus de et un tiers de Rouen réduit à des décombres. Les Alliés, ayant atteint leurs objectifs stratégiques, cessent les attaques aériennes, laissant derrière eux une ville dévastée et une population traumatisée. La priorité est maintenant de secourir les survivants et de commencer les efforts de reconstruction.

Les Conséquences Immédiates

Pertes Humaines et Matérielles

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Rue de la République à Rouen après les bombardements du 19 avril 1944

Les pertes humaines sont lourdes : environ 500 morts et 20 000 sinistrés, qui vivaient dans les 10 000 bâtiments détruits. Les infrastructures de la ville sont dévastées, La plupart des églises de la rive droite sont éventrées, le palais de Normandie n'est plus qu'une façade, et de nombreux bâtiments historiques, comme le logis de Diane de Poitiers, sont détruits. Les quais de Seine, particulièrement visés, ne sont plus que des gravats. La destruction massive a un impact profond sur la population civile, qui doit faire face à la perte de proches et à la destruction de leurs foyers.

 

Les témoignages des survivants révèlent l'horreur et le chaos de ces jours sombres. Des récits poignants décrivent des familles séparées, des enfants perdus et des corps ensevelis sous les débris. Les autorités locales, débordées par l'ampleur de la catastrophe, appellent à l'aide. Le préfet, l'archevêque et le maire signent un appel à l'évacuation des personnels non essentiels.

La propagande de Vichy et le ressenti Populaire

Affiches de propagandes suite aux bombardements alliés sur Rouen, "LES ASSASSINS REVIENNENT TOUJOURS, SUR LES LIEUX DE LEURS CRIMES". On voit Jeanne d'Arc, les mains enchaînées, au milieu des flammes d'un énorme brasier provoqué par l'incendie de Rouen qui vient d’être bombardée.

Durant cette période, le régime de Vichy et les forces allemandes intensifient leur propagande pour décrédibiliser les Alliés. Ils diffusent des messages accusant les forces anglo-américaines de cruauté, les qualifiant de criminels responsables de la destruction massive et des nombreuses victimes civiles. Les affiches, les tracts et les émissions de radio dépeignent les bombardiers alliés comme des barbares sans cœur, semant la mort et la destruction.

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Habitants fuyants Rouen après le bombardement de la ville en 1944 

Cette propagande trouve un écho chez certains habitants de Rouen, profondément affectés par les pertes humaines et matérielles. Bien que beaucoup souhaitent ardemment la libération, il existe un ressentiment palpable envers les Alliés, notamment les Anglais et les Américains, accusés de sacrifier des vies civiles dans leur quête militaire. Les témoignages de l'époque révèlent une population déchirée entre l'espoir de la liberté et la colère face aux tragédies infligées par les bombardements. Cette ambivalence crée un climat complexe où le désir de voir partir les forces d'occupation coexiste avec une profonde douleur et un sentiment d'injustice envers les libérateurs.

Les Combats se Poursuivent : de la désillusion à l’espoir

La Bataille de Normandie : un été de combats

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En septembre 1944, photo des quais de Rouen depuis la rive gauche, montrant des dizaines de véhicules allemands anéanti par alliés.

La fin de la Semaine rouge ne marque pas la fin des souffrances pour Rouen. Les combats se prolongent tout l'été, alors que les forces alliées poursuivent leur avancée à travers la Normandie. Rouen, bien que gravement endommagée, reste un point stratégique essentiel. Les Allemands, déterminés à retarder l'avance alliée, fortifient leurs positions dans et autour de la ville, transformant Rouen en un champ de bataille urbain.

Pendant cet été de combats, la Résistance française joue un rôle crucial. Les réseaux de résistants autour de Rouen fournissent des renseignements vitaux et sabotent les infrastructures pouvant servir à la retraite allemande. Des milliers de soldats allemands se retrouvent acculés sur les rives de la Seine, incapables de fuir,  ils vont devenir une cible de choix pour les canons alliés.

La Libération de Rouen

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Un photographe, accompagné de deux résistants, photographie les ruines de Rouen, après la libération de la ville.

Finalement, le 30 août 1944, les troupes canadiennes entrent dans Rouen. La libération est accueillie avec une immense joie par les habitants survivants, mais aussi avec une profonde tristesse pour les pertes subies. La ville est un champ de ruines, mais l'esprit de ses habitants est indomptable. La libération marque le début d'une nouvelle ère, où la reconstruction physique et émotionnelle peut enfin commencer.

 

Efforts de Reconstruction et de Commémoration

Reconstruction de la Ville

Après la fin des bombardements, les efforts de reconstruction commencent immédiatement. Des mineurs du Nord-Pas-de-Calais sont dépêchés pour aider à déblayer les rues et à secourir les personnes bloquées sous les décombres. Les sapeurs-pompiers de Paris viennent prêter main-forte pour éteindre les incendies encore actifs.

Les sinistrés sont relogés dans des baraquements provisoires, tandis que les autorités locales planifient la reconstruction à long terme de la ville. La solidarité nationale se manifeste par l'envoi de matériaux et de main-d'œuvre pour aider Rouen à se relever de ses cendres. Il faudra vingt ans pour reconstruire Rouen.

Un traumatisme durable pour la population

Les habitants de Rouen subissent des pertes humaines et matérielles sévères. Les témoignages des survivants et des récits historiques montrent une population résiliente, malgré les épreuves. La solidarité et l'entraide sont omniprésentes, avec des histoires de courage et de sacrifice. Les conséquences à long terme incluent des traumatismes psychologiques et la nécessité de reconstruire non seulement les bâtiments, mais aussi le tissu social de la ville.

 

Comparée à d'autres villes européennes ayant subi des bombardements similaires, Rouen se distingue par l'ampleur des destructions et la rapidité des efforts de reconstruction. Les bombardements de la Semaine rouge sont souvent mis en parallèle avec ceux de Dresde et de Tokyo, soulignant les dilemmes moraux et stratégiques des guerres modernes. La réévaluation historique de ces événements continue de susciter des débats sur la justification et les impacts des stratégies militaires alliées.

La semaine rouge dans la Mémoire Collective

La Semaine rouge reste un épisode tragique et marquant de l'histoire de Rouen. Les bombardements massifs et les destructions qui s'ensuivent témoignent de la brutalité de la guerre et de la résilience des habitants. La mémoire de cette sombre période est perpétuée chaque année par des commémorations voulues pour honorer les victimes et rappeler ces événements tragiques. En 2011, une plaque commémorative est dévoilée au Palais de Justice de Rouen, rappelant les sacrifices des habitants, leur courage, et les destructions subies. Ce devoir de mémoire joue un rôle crucial dans la reconstruction identitaire de la ville et la transmission de la mémoire, et permet d’envoyer un message de paix et de solidarité aux générations futures.


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