L'appel du 18 juin : L'île de Sein prend le large

Rédigé le 18/06/2024
Ystory


"Le message de l'île de Sein, c'est qu'il n'y a pas de péril, pas de difficulté que nous ne puissions surmonter, dès lors que la volonté existe, dès lors que le rassemblement se fait." — François Hollande rendant hommage aux habitants de l'île de Sein

À partir du 18 juin 1940, 128 hommes de l'île de Sein se préparent à prendre la mer pour rejoindre les Forces Françaises Libres du général De Gaulle. Alors que le gouvernement français s'apprête à signer un armistice avec les nazis, ils s'organisent pour rejoindre la résistance à Londres.

 

L'appel du 18 juin 1940

Ces hommes répondent à l'appel du Général de Gaulle lancé le 18 juin sur les ondes de Radio Londres. Ce jour-là, De Gaulle appelle les Français à résister à l'armistice que Pétain s'apprête à signer avec Hitler. Ainsi, entre le 19 et le 26 juin 1940, l'île de Sein voit une part importante de sa population masculine en âge de combattre refuser l'armistice du 22 juin 1940. Au total, 141 îliens partent pour rallier l'Angleterre.

Profondément touché par cet acte de résistance, le général De Gaulle élève ces hommes au rang de Compagnons de la Libération. Il rendra visite aux îliens à deux reprises, en 1946 et 1960. L'île de Sein est l'une des cinq communes françaises faites Compagnons de la Libération, et la seule à avoir plus de morts militaires pendant la Deuxième Guerre mondiale que pendant la Première.

La guerre des ondes

 

Avec ses 1 200 habitants en 1940, l'île de Sein est privée d'une grande partie de ses hommes mobilisés. Deux fois par semaine, le bateau "Ar Zénith" assure le transport entre l'île et le continent, transportant passagers, marchandises et courrier. Il est également l'un des rares moyens d'obtenir des informations. Presque sans électricité, la vie sur l'île est rude, et les habitants parviennent tant bien que mal à avoir des nouvelles de l'extérieur grâce à quelques radios. Chaque jour, des îliens se rassemblent à 11 heures devant l'hôtel de l'Océan pour écouter les nouvelles sur l'une des rares radios. La propriétaire de l'hôtel met à disposition la sienne sur un rebord de fenêtre du rez-de-chaussée. Les habitants s'installent sur le quai sud pour écouter les nouvelles de Radio-Paris.

Le 19 juin, les nouvelles sont mauvaises : Brest vient d'être évacué et Rennes est aux mains des Allemands. Ce que tous ignorent, c'est que la veille, un général rebelle a pris de court le maréchal Pétain, signataire d'un armistice avec l'Allemagne, depuis l'Angleterre. À Londres, Winston Churchill a mis à disposition les moyens techniques de la BBC pour que le général De Gaulle puisse lancer un appel aux Français. Dans son discours célèbre, De Gaulle les appelle à poursuivre le combat aux côtés des alliés britanniques. Ce n'est que le 21 juin qu'Henri Thomas, gardien du phare d'Ar-Men, accourt au village pour prévenir les Sénans de ce qui se passe à Londres. D'après lui, le message de De Gaulle sera retransmis dès le lendemain. La propriétaire de l'hôtel de l'Océan tente de capter la BBC pour vérifier la nouvelle. Mais malgré de nombreuses tentatives, elle ne parvient pas à trouver la fréquence de Radio Londres et donne rendez-vous aux Sénans le lendemain. Ainsi, le 22 juin, ils se retrouvent à nouveau sur le quai devant l'hôtel pour écouter la rediffusion du message de De Gaulle sur le poste radio de Tin'ti Marie.

Répondre à l'appel du 18 juin

Pendant le message, personne ne parle. Tout le monde écoute religieusement les mots de ce général qui s'est exilé pour mieux résister. Une fois le discours terminé, le calme laisse place à l'agitation. Les jeunes se pressent déjà à la porte du presbytère pour prendre conseil auprès de l'abbé Louis Guillerm. D'autres vont demander l'avis du maire Louis Guilcher. Tous s'interrogent, mais la seule question qui vaille est celle de savoir quand et comment rejoindre l'Angleterre.

 

Le prêtre et le maire le savent très bien, ils connaissent la mentalité des jeunes îliens. Ce que les deux amis craignent surtout, c'est la réaction des Allemands. La suite va leur donner raison. En effet, dès le 24 juin, le maire reçoit un coup de téléphone de la gendarmerie lui transmettant un message de la préfecture du Finistère lui ordonnant de recenser tous les hommes valides présents sur l'île de Sein. Le temps presse et il faut agir vite. Le maire et l'abbé convoquent immédiatement une réunion dans la salle du presbytère.

La réunion

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Dans l'après-midi, tous les jeunes de l'île en âge de se battre se réunissent dans la salle. Sont également présents des hommes plus âgés valides et tous les patrons pêcheurs de l'île de Sein. Tous souhaitent rejoindre l'Angleterre. D'emblée, le patron de la Velleda et celui du Rouanez-ar-Mor acceptent de partir en embarquant des volontaires. Toutefois, ils ont deux exigences non négociables : cela doit se passer le soir même à la Cale neuve, et trois autres navires doivent être armés le plus vite possible pour faire face au grand nombre de volontaires.

En seulement vingt-quatre heures, le maire, l'abbé, les patrons pêcheurs et les hommes s'organisent pour le grand départ. Parmi les jeunes qui s'embarquent ce jour-là, trois n'ont pas encore seize ans. En réalité, ils ont été devancés par le Ar Zenith, premier bateau à être parti dès le 19 juin. Son capitaine, Jean-Marie Menou, est parti pour Ouessant afin de gagner l'Angleterre. À son bord, il est accompagné par 75 hommes, militaires ou civils, parmi lesquels figurent déjà quatre Sénans.

Le grand départ

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À bord des bateaux, l'émotion est palpable, notamment sur les visages des jeunes où l'on peut lire la fierté d'être utile à leur pays. Le maire est présent aux côtés de l'abbé qui bénit à tout va les hommes d'équipage en partance. Ce soir-là, ils sont plus d'une cinquantaine, attendant que la nuit tombe pour larguer les amarres.

Sur la pointe du Raz, les jumelles allemandes scrutent le raz de Sein, également survolé en permanence par des avions allemands. La Velleda de Jean-Marie Porsmoguer et le Rouanez ar Mor de Prosper Couillandre devront se faire discrets pour survivre. Trois autres bateaux partent le 26 juin 1940 : le Rouanez ar Peoc'h, le Corbeau des Mers et la Marie-Stella. Au final, 128 pêcheurs quittent l'île de Sein pour répondre à l'appel du général De Gaulle.

Sein, le quart de la France

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La traversée est longue, mais par chance la mer est calme. À l'arrivée en Angleterre, une foule curieuse et admirative accueille les exilés. Certains habitants voient d'un mauvais œil ces réfugiés, d'autres les accueillent avec joie. Une dame offre même des frites aux Français attendant un autocar. Ces hommes sont parmi les premiers Français à gagner la Grande-Bretagne. Au total, après l'arrivée des autres bateaux, ils sont désormais 128 civils à avoir répondu à l'appel du 18 juin.

 

À ces hommes, il faut ajouter les militaires de la garnison de Sein partis un peu plus tôt en refusant eux aussi de rendre les armes. Le 3 juillet 1940, le général De Gaulle réunit les volontaires français ayant répondu à son appel à l'Empire Hall de Londres. Environ 600 hommes sont présents ce jour-là. De Gaulle est impressionné par la délégation de l'île de Sein en comparaison au nombre de Français venus d'autres régions, ce qui lui inspire une phrase devenue célèbre pendant son discours :

"L'île de Sein est donc le quart de la France."

L'heure du combat a sonné

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Au départ, les plus jeunes broient du noir, envoyés près de Liverpool pour faire du scoutisme. Cependant, cette situation ne durera pas. Tous sont jugés aptes à servir l'armée quelques jours plus tard. Ils sont enrôlés dans les Forces Navales alliées. La plupart sont affectés sur le cuirassé Courbet, qui assure la défense du port de Portsmouth, puis intègrent les Forces navales françaises libres. Parmi eux, Joseph Guilcher, qui intègre les commandos Kieffer et sera l'un des premiers Français à débarquer sur Sword Beach le 6 juin 1944.

 

Dès juillet 1940, les Allemands occupent l’île de Sein, y installant mines et barbelés. La navigation des bateaux est soumise à une réglementation stricte. Les Allemands détruisent même le grand phare de l'île en 1944, reconstruit en 1951. En tout, 32 Sénans meurent pour la France pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour s'en souvenir, le nom de ces hommes est inscrit sur le monument commémoratif inauguré le 7 septembre 1960 par le général De Gaulle. Ce monument, sculpté par René Quillivic, est érigé sur la côte nord, non loin du phare. On peut y lire deux inscriptions :

la devise de la Bretagne "Kentoc'h Mervel" ("Plutôt mourir") et "Le soldat qui ne se reconnaît pas vaincu a toujours raison".