La catastrophe de Courrières, 1099 victimes dans l'enfer du nord
Pl. Ferrer Sallaumines Pas-de-Calais
La catastrophe de Courrières qui survient le 10 mars 1906, est venue bouleverser l'histoire de l'industrie minière française et européenne. Cette tragédie, l'une des plus meurtrières jamais survenues dans une mine de charbon, a coûté la vie à des centaines de mineurs et a marqué un tournant dans les politiques de sécurité et les conditions de travail de ces travailleurs courageux. Plongeons-nous dans les événements qui ont mené à cette catastrophe et examinons les répercussions politiques, sociales et techniques qui en ont découlé.
« ...Car la mine appartient au capital ; elle n’appartient pas à la communauté et au travail. Cette mine où ils peinent et où ils succombent, cette mine qui est un dur chantier toujours et un sinistre tombeau parfois, ils l’aiment malgré tout ; parce que l’homme aime ce à quoi il se donne. Mais comme ils l’aimeraient, comme ils l’adoreraient si elle était la cité souterraine du travail libre et de la justice sociale. Même les catastrophes seraient moins cruelles si elles étaient imputables à la seule nature, et si l’humanité avait fait tout l’effort qu’elle peut faire pour les prévenir » - Jean Jaurès dans l'Humanité du 11 mars 1906.
La catastrophe de Courrières
L'une des plus grandes tragédies minières de l'histoire
La catastrophe de Courrières illustrée par Le Petit Journal
Le 10 mars 1906, un événement dévastateur a eu lieu à Courrières, une petite commune du Pas-de-Calais en France. La catastrophe minière de Courrières, l'une des pires de l'histoire et la plus grave en Europe, a non seulement laissé des cicatrices indélébiles sur le paysage, mais a également provoqué un changement profond dans la vie des mineurs et la réglementation de l'industrie. Cet article retrace les événements de cette journée tragique et les conséquences qui en ont découlé, en hommage aux mineurs qui ont perdu la vie.
Catastrophe de Courrières : un enchaînement de catastrophes
Avant même l'explosion du 10 mars 1906, les mineurs de Courrières travaillent dans des conditions précaires. Bien que la mine ait la réputation d'être non grisouteuse, des experts débattent sur la possibilité d'une explosion de grisou à l'origine du coup de poussière de charbon. Malgré les incertitudes, la plupart des experts penchent aujourd'hui pour une explosion en l'absence totale de grisou.
Quelques jours plus tôt, un feu de mine se déclare dans d'anciennes zones de travail. Le 7 mars, les mineurs découvrent un incendie dans la veine Cécile, située à 326 mètres de profondeur. Face à cette situation, les ingénieurs et les porions décident de construire des barrages pour étouffer l'incendie. Entre le 7 et le 9 mars, ils érigent plusieurs barrages successifs pour couper l'arrivée d'air et d'oxygène, ignorant qu'ils pourraient ainsi favoriser un phénomène de contre-explosion.
Pierre Simon, également connu sous le nom de Ricq et délégué mineur, insiste pour que personne ne descende dans la mine tant que l'incendie fait rage. Il sait que poursuivre l'exploitation du charbon dans ces conditions est trop dangereux. Malheureusement, on ignore son avis.
Le matin du 10 mars, 1 664 mineurs et galibots, âgés de 14 à 15 ans, rejoignent déjà leur poste de travail dans les fosses 2, 3, 4 et 10. À 6h30, ils aperçoivent une fumée noire sortant de la porte du moulinage de la fosse n°3. Peu après, une déflagration secoue le puits n°4. L'explosion dégage une chaleur intense, transformant les galeries en brasier et balayant tout sur 110 kilomètres. Les gaz toxiques se répandent ensuite dans les galeries, provoquant une catastrophe sans précédent.
Sauvetage et controverses : une course contre la montre
Les femmes assises en rond attendent sur le carreau de la fosse de Sallaumines, espérant voir remonter leur mari ou leur fils.
Lorsque la catastrophe éclate, les cages sont éjectées hors des puits et les échelles ainsi que les systèmes d'aérage sont détruits. La descente devient vite impossible, en raison de la fumée noire épaisse et des gaz irrespirables. Malgré tout, quelques survivants réussissent à remonter par le puits 10. Les ingénieurs de la compagnie, réalisant rapidement l'ampleur du drame, se mobilisent pour organiser les secours.
En fin de matinée, des représentants des compagnies minières voisines, des autorités civiles et religieuses, ainsi que des journalistes se rassemblent sur les lieux de la catastrophe. L'ingénieur en chef des mines, Léon, prend la responsabilité de l'organisation des sauvetages, qui se poursuivent jusqu'au 8 avril. La priorité est de rétablir le système d'aérage pour permettre aux équipes de secours d'accéder aux galeries.
Cependant, les choix techniques opérés lors des opérations de sauvetage suscitent la polémique. Les mineurs ne sont pas consultés et le système d'aérage est inversé dans la nuit du 12 mars pour faciliter la progression des sauveteurs, au risque d'asphyxier les survivants. La peur d'un noyage précipité des galeries alimente les rumeurs les plus folles.
Dans ce contexte tendu, l'arrivée de sauveteurs westphaliens équipés d'appareils respiratoires perfectionnés est saluée unanimement. Ces experts apportent un soutien précieux dans la course contre la montre pour sauver les mineurs encore prisonniers des galeries.
Une course contre la montre pour sauver des vies
L'impact de l'explosion à la surface est immédiatement visible : les cages sont éjectées des puits, les échelles et les systèmes d'aérage sont détruits. Une épaisse fumée noire et des gaz toxiques rendent toute descente impossible. Malgré tout, quelques survivants parviennent à remonter par le puits 10. Rapidement, les ingénieurs de la compagnie minière réalisent l'ampleur de la catastrophe. Au cours de la matinée, des ingénieurs, médecins, officiels et journalistes convergent vers le site de l'accident. Les opérations de sauvetage, menées par l'ingénieur en chef des mines Léon, se poursuivent jusqu'au 8 avril. La priorité est de rétablir le système d'aérage, mais les mineurs ne sont pas consultés pour les choix techniques. Des controverses émergent, notamment autour de l'inversion du système d'aérage le 12 mars pour faciliter la progression des sauveteurs, au risque d'asphyxier les survivants. Des rumeurs folles circulent sur le noyage précipité des galeries.
La solidarité des mineurs allemands
Arrivée des sauveteurs allemands.
Dans la nuit du 11 au 12 mars, les ingénieurs mettent en œuvre un plan pour fermer les orifices des puits et relancer les ventilateurs du puits n°3 afin d'évacuer l'air vicié. Les ventilateurs des puits n°2 et 4 sont arrêtés, transformant ces puits en entrées d'air. Le puits n°4 est fermé. À 9 heures, une équipe de 25 mineurs allemands volontaires, équipés de masques à oxygène, arrive pour aider les secours. Malgré les tensions franco-allemandes de l'époque, ils parviennent à progresser dans les galeries et à récupérer de nombreux corps.
L'arrivée de sauveteurs westphaliens équipés d'appareils respiratoires perfectionnés est chaleureusement accueillie. L'implication des mineurs allemands est saluée par des personnalités telles que Jean Jaurès et attire l'attention du monde entier.
Une gestion de crise très controversée
Suite à la catastrophe de Courrières, les sauveteurs découvrent un amoncellement de cadavres.
Toutefois, la gestion de la crise par la compagnie minière est vivement critiquée. Les accusateurs affirment que la sécurité des mineurs a été sacrifiée pour protéger les infrastructures, notamment en murant les galeries et en inversant l'aérage pour éteindre l'incendie plutôt que de faciliter le travail des sauveteurs en leur fournissant de l'air frais.
Des familles de victimes méprisées
Suite à la catastrophe de Courrières, le cortège de familles de victimes sous la neige, qui se dirige vers le cimetière.
Par ailleurs, les corps extraits de la mine ne sont pas présentés aux familles pour identification pendant les trois premiers jours. Lorsque l'identification devient possible, elle n'est ouverte qu'un seul jour, les familles devant passer devant mille corps pour reconnaître leurs proches. Les responsables de la mine et les fonctionnaires ne fournissent aucune information aux familles, et les veuves sont contraintes de quitter les corons (logements des mineurs).
De plus les obsèques qui se déroulent le lendemain sous une tempête de neige sont expédiées, suscitant colère et amertume chez les familles des victimes. De nombreux corps, gravement brûlés, ne peuvent être identifiés et sont inhumés dans une fosse commune, surnommée le « silo », pour éviter la propagation d'épidémies. La cérémonie se déroule dans la précipitation, et les huées des endeuillés obligent l'ingénieur en chef et le directeur de la compagnie à quitter le cimetière.
Bilan de la catastrophe de Courrières
La foule aux abords de la fosse de Sallaumines.
Le 14 mars, un bilan effroyable est dressé, révélant la perte de 429 vies à la fosse n°3, 506 à la fosse n°4 et 162 à la fosse n°2. La tension monte rapidement parmi les mineurs et les sauveteurs qui poursuivent leurs recherches. Malheureusement, le 15 mars, un incendie éclate dans les galeries, forçant les sauveteurs à arrêter leurs efforts. Ce jour-là, seuls des cadavres sont découverts, et seize sauveteurs ont déjà péri en tentant d'aider leurs collègues.
La colère gronde
La frustration et la révolte grandissent dans le bassin minier. Les mineurs entament une grève pour réclamer de meilleures conditions de travail, rassemblant 40 000 travailleurs à la fin du mois. La venue du ministre de l'Intérieur, Georges Clemenceau, accompagné de 20 000 militaires, ne parvient pas à apaiser la situation.
Des doutes commencent à émerger quant à la décision des ingénieurs d'État d'abandonner les recherches seulement trois jours après la catastrophe, laissant penser que d'autres survivants auraient pu être sauvés. Jean Jaurès s'interroge dans L'Humanité si les responsables des sauvetages n'ont pas privilégié la mine aux hommes, commettant ainsi une terrible erreur.
Les miraculés de la catastrophe de Courrières
Les treize rescapés de la catastrophe de Courrières.
Vingt jours après la catastrophe, le 30 mars, un miracle se produit. Treize rescapés réussissent à retrouver le puits n°2 après avoir erré pendant des jours dans l'obscurité totale. Un ouvrier sauveteur les aperçoit, et une équipe descend pour les secourir. Ces mineurs racontent avoir survécu en se nourrissant de ce qu'ils trouvaient, y compris de l'avoine et un cheval qu'ils ont dû abattre.
Le dernier survivant de ces treize rescapés, Honoré Couplet, décède en 1977 à l'âge de 91 ans. Deux d'entre eux continuent de travailler dans la mine pendant plus de quatre décennies.
Le 4 avril, soit 24 jours après la catastrophe, un quatorzième survivant, Auguste Berthou, est retrouvé grâce à l'aide des secouristes allemands et leurs équipements respiratoires. Il a erré pendant près d'un mois à plus de 300 mètres sous terre, dans l'obscurité et les fumées toxiques. Il est finalement remonté par le puits n°4, marquant la fin de cet épisode tragique.
Le bilan presque définitif
Auguste Berthou, le dernier survivant.
L'accident causa la mort de 1 099 mineurs sur les 1 800 qui étaient descendus ce jour-là, bien que le bilan réel soit sans doute plus élevé en raison des travailleurs "irréguliers" dont les décès n'ont pas été attribués à cet accident. Piégés, la plupart des ouvriers périrent, soit asphyxiés, soit brûlés par les nuées ardentes de gaz toxiques. À la fin de cette journée tragique, seuls 576 mineurs réussirent à échapper à l'horreur. De plus, il faut ajouter à ce bilan le décès d'au moins seize sauveteurs qui intervinrent dans des conditions précaires de sécurité et d'hygiène.
La grève des mineurs et les répercussions politiques
Mineurs grévistes après la catastrophe
Suite à l'émotion et la polémique entourant la gestion des secours, un vaste mouvement de grève éclate. Le 13 mars, durant les obsèques des premières victimes, le directeur de la compagnie minière est hué et forcé de partir rapidement. La foule scande des slogans révolutionnaires et appelle à la grève. Les jours suivants, les mineurs refusent de retourner au travail et les syndicats appellent à une grève qui s'étend rapidement à d'autres bassins miniers français et même en Belgique.
Le mouvement s'amplifie
Au fur et à mesure que le mouvement prend de l'ampleur, les incidents se multiplient entre les grévistes et les non-grévistes, ainsi qu'entre les partisans de différents syndicats. Face à cette situation, le ministre de l'Intérieur Georges Clemenceau mobilise des milliers de gendarmes et soldats pour maintenir l'ordre. Malgré cela, de nombreuses arrestations ont lieu.
Conséquences de la découverte tardive des survivants
La colère des mineurs est exacerbée par la découverte tardive de rescapés, faisant naître des accusations contre la Compagnie de Courrières de vouloir enterrer vivantes les victimes. La grève se durcit et un officier de l'armée est tué le 23 avril. Finalement, le patronat concède des augmentations de salaires et le travail reprend début mai.
Répercussions sociales
Plusieurs jours après la catastrophe, les familles avaient toujours l'espoir que l'un des leurs soit retrouvé sain et sauf.
La catastrophe a suscité un élan de générosité sans précédent en France et en Europe, avec des millions de francs collectés pour soutenir les familles des victimes. Par ailleurs, cet événement tragique a conduit à l'arrivée de l'immigration dans le Nord-Pas-de-Calais et au rétablissement du repos hebdomadaire pour les mineurs.
Répercussions techniques
Remise en question des théories sur les risques d'explosions
La catastrophe de Courrières a mis fin à la querelle entre les ingénieurs des mines français concernant les risques d'explosions liées aux poussières en l'absence de grisou. Les théories dominantes de l'époque ont été remises en question, conduisant à la recherche de solutions pour prévenir les explosions.
Nouvelles mesures de prévention
Particules de poussières
Des études menées après la catastrophe ont abouti à la mise en place d'arrêts barrages, ou taffanels, visant à limiter la propagation des explosions dans les galeries. Ces dispositifs se sont révélés efficaces, puisqu'aucune catastrophe n'a atteint depuis l'ampleur de celle de Courrières.
Changements dans l'équipement des mineurs
Lampe de sécurité inventée par Sir Humphry Davy en 1815 pour le travail en atmosphère grisouteuse. Davy a découvert qu'une flamme enfermée dans un maillage très fin n'enflamme pas le grisou. L'écran joue en outre un rôle de pare flammes.
Après la catastrophe, les lampes à feu nu sont remplacées par des lampes de sûreté, et un premier poste central de secours est créé pour former des équipes spécialisées de sauveteurs. Des travaux d'études sur les risques liés au grisou et aux poussières sont entrepris, conduisant à la création d'organismes de recherche et de prévention des risques miniers en France.
Le devoir de mémoire envers les mineurs de Courrières et leurs sauveteurs
Plus d'un siècle après la catastrophe de Courrières, il est essentiel de se souvenir de ces mineurs qui ont péri et de ceux qui ont risqué leur vie pour venir en aide à leurs camarades. La tragédie nous rappelle l'importance de la sécurité au travail et de la solidarité face aux épreuves. Aujourd'hui, le devoir de mémoire envers ces hommes et leurs familles perdure, afin de ne jamais oublier les sacrifices consentis et les leçons tirées de cet événement marquant. Puisse leur histoire nous inspirer à toujours veiller sur la sécurité et la dignité des travailleurs, et à honorer leur mémoire en poursuivant les progrès dans la protection des droits des travailleurs partout dans le monde.