Les Halles de la Villette, la cité du sang
211 Av. Jean Jaurès Paris
Plongeons dans le passé, au cœur de Paris, entre 1865 et 1867. C’est là que se dressait à l’époque une structure impressionnante « La grande halle aux bœufs » était la plus imposante des trois halles dédiées à la vente de bestiaux. Rebaptisée aujourd’hui « Grande Halle de la Villette », elle est la seule à avoir garder son emplacement d’origine, et la seule à avoir survécu à l'épreuve du temps. Bienvenue dans l’histoire de la Grande Halle de la Villette.
La création des halles de la Villette
En 1865, Paris est une ville en pleine transformation. Le Baron Haussmann, sous l'ordre de Napoléon III, décide de changer le visage de la capitale. Il crée un lieu unique à la Villette, rassemblant les abattoirs et les marchés aux bestiaux de Paris.
Les trois immenses halles sont conçues par Jules de Mérindol, un élève de Victor Baltard, avec l'aide de Louis-Adolphe Janvier. Cette halle est alors le plus grand édifice parisien en métal. L’édifice s'élève fièrement au sud du canal de l'Ourcq, tandis que les abattoirs prennent place au nord.
Le choix de l’emplacement
Dès le 6 avril 1859, avec l'approbation municipale, naît un ambitieux projet qui prévoit de transformer La Villette, qui doit prochainement être annexée à Paris. Ce projet prévoit de centraliser à La Villette l'ensemble du commerce de bétail et de viande. Grâce à la construction de grands édifices, imaginés par Baltard et Janvier, l’endroit pourra accueillir à la fois les abattoirs généraux et le marché aux bestiaux.
Ces édifices symbolisaient déjà une ère de modernisation et d'efficacité sans précédent. Mais Le projet prévoit également de connecter un embranchement ferroviaire dédié, à la ligne de Petite Ceinture, pour acheminer aisément les animaux depuis les périphéries vers La Villette. La station « Paris-Bestiaux », inaugurée en 1867 à la Porte de Pantin, devait marquer le début d'une ère nouvelle.
Une Halle XXL
Les abattoirs de la Villette vers 1900
Le 21 octobre 1867, le rideau se lève sur ce nouveau complexe. Le jour de son inauguration elle accueille déjà 1 360 gros bovins. Des marchés animés y sont organisés tous les lundis et jeudis. La Villette devient alors un monde à part, avec ses propres règles et hiérarchies, un endroit à la fois fascinant et inquiétant.
La Grande Halle, qui s'étend sur 26 000 m², mesure 245 mètres de long, 85 mètres de large et 19 mètres de haut. À l’époque la grande halle de la Villette est entourée de deux autres halles plus petites, séparées par de larges avenues : Une à l’ouest pouvant abriter 3 900 moutons, et une autre à l’est, capable d’accueillir 1 950 veaux et 3 240 porcs.
Le cœur de métiers
Très vite La Villette est surnommée la « cité du sang ». Le site bouillonne d'activité. Tous les jours 3000 personnes s’activent quotidiennement, pour traiter l’arrivée de 4 000 bœufs, 22 000 moutons, 4 000 veaux et 7 000 porcs. La Villette et ses 50 hectares dédiés au commerce de viande, sont devenus le plus grand abattoir de Paris. Une multitude de métiers s’affairent chaque jour pour faire vivre ce lieu. Parmi ces professions on trouve par exemple, les « sanguins », « pansiers », « fondeurs » et autres « boyaudiers ».
Des tueurs aux tripiers, en passant par les charcutiers, chacun jouait un rôle crucial dans cette mécanique bien huilée. Les femmes, elles aussi, occupent des postes spécifiques, essentiellement en triperie et charcuterie, où elles s'occupent de la préparation des carcasses de porc, de la récupération du sang et des abats, ou encore du dégraissage. Toutes ces personnes exercent un métier difficile, souvent brutal, mais leur contribution est devenue vitale pour la ville de Paris.
Une atmosphère singulière
Pour saisir pleinement l'atmosphère qui régnait dans des halles de la Villette, il est indispensable de plonger dans les récits de l'époque. Fernand Bournon, dans son Paris-Atlas de 1900, décrit avec une précision presque palpable le quotidien autour des étables et des échaudoirs, nous offrant une fenêtre sur un monde révolu à la fois effrayant, que tout aussi fascinant.
« Les étables où les malheureux animaux attendent le coup de massue ou le coup de couteau final y alternent avec les échaudoirs, nom bizarre donné aux salles où se donne la mort. On y tue pendant la nuit, on y prépare et débite les viandes dans la journée. Les ouvriers employés à ce dernier travail sont, non moins étrangement, nommés chevillards, parce qu’ils disposent les bêtes dépecées sur des crocs en fer nommés chevilles. Il parait que ce rude métier, qui exige beaucoup de force et d’adresse, ne porte pas à la mélancolie : les bouchers de La Villette sont d’humeur joyeuse, de santé robuste comme il convient à des gens qui, par métier, font des cures de sang ordonnées aux personnes débiles. »
Faire face à la demande
Vers 1900, jusqu'à 23 000 moutons et 5 000 bœufs y sont abattus quotidiennement ! Le marché aux bestiaux de La Villette se positionne comme l'épicentre du commerce de boucherie en France. C’est l’âge d'or de la « Cité du sang ». À ce moment-là l’endroit bourdonne d'activité : pas moins de 300 chevillards parisiens s'y rassemblent, tandis que 2 000 bouchers détaillants écoulent les stocks de viandes à travers la ville.
Cette année-là, les abattoirs de La Villette démontrent leur capacité prodigieuse à nourrir Paris, en expédiant pas moins de 138 000 Tonnes de viandes. Dans les premières décennies du siècle, la demande s’accroît encore fortement, et les abattoirs commencent à peiner pour suivre cette cadence infernale.
Le scandale sanitaire de la Villette
« Les abattoirs sont le plus souvent de simples agglomérations de tueries particulières et présentant au point de vue économique les mêmes défauts. Les animaux y sont abattus dans la cellule ou échaudoir de chaque boucher. C’est dans l’échaudoir que l’animal assommé est saigné, vidé, écorché. Les carcasses traînent sur le sol, souillées de sang, du contenu des panses, d’ordures de toute sorte. La plus grande partie du sang, du contenu des panses est poussé à l’égout et perdu. Les cuirs souillés sont entassés dans un coin de l’échaudoir où ils fermentent et détériorent. Des nuées de mouches, des odeurs nauséabondes, tels sont les agréments dont jouissent les quartiers voisins de tels abattoirs » P. Juillerat dans l’Hygiène publique en 1921
Au début du XXe siècle, l'urgence de moderniser La Villette est évidente, mais les améliorations se font attendre. En 1922, Le Petit Journal critique violemment les abattoirs vétustes et sales de La Villette, un équipement jugé primitif et inadapté. Le manque d'installations frigorifiques entraîne d'importantes pertes de viande, aggravant le coût de la vie dans une période où l'alimentation pèse pour 60 % dans le budget des ménages. Cette situation amplifie le gaspillage et les prix de la viande, reflétant les déficiences d'une industrie essentielle mais défaillante.
Le scandale financier de la Villette
En 1930, la Ville de Paris initie des efforts de modernisation des abattoirs de la Villette, en dépit desquels les problèmes d’hygiène persistent. En 1949 face à ces enjeux sanitaires, l la ville de Paris prend la décision de reconstruire entièrement les abattoirs pour les conformer aux normes contemporaines. Cependant, dans les années 1950, l'avènement de l'industrie frigorifique bouleverse le secteur. La proximité des sites d'abattage avec les lieux d'élevage devient économiquement plus avantageuse, reléguant les abattoirs de la Villette à un rôle secondaire.
Néanmoins, en 1959, la Ville de Paris lance un projet ambitieux de reconstruction des abattoirs, espérant revitaliser ce site historique. Ce projet, cependant, se transforme rapidement en un gouffre financier, plombé par des retards incessants et des coûts de construction qui s'envolent. Ce qui devait être une renaissance se mue en scandale : le "scandale de la Villette" fait la une des journaux, exposant les défaillances et les dépassements budgétaires du projet. Finalement, les travaux sont abandonnés en 1970, et le couperet tombe le 14 mars 1974 : les abattoirs de la Villette ferment leurs portes pour la dernière fois, mettant un terme à une époque révolue de l'histoire parisienne.
La renaissance des halles de la Villette
C'est à la fin des années 70 que La Villette renaît de ses cendres. Sur 55 hectares, le site se transforme en un complexe inédit mêlant nature, architecture, loisirs et culture : le parc de La Villette. Lorsque le parc de la Villette fut aménagé, la halle aux veaux, en mauvais état, fut détruite en 1980. La halle aux moutons, quant à elle, fut soigneusement démontée en 1986 et acquise par le département de la Seine-Saint-Denis, qui espérait la reconstruire ailleurs. La Halle aux cuirs, témoin de l'histoire des peaux traitées à La Villette, s'offre également une nouvelle vie culturelle.
Depuis sa création sur les vestiges des abattoirs, la Grande Halle a entamé un nouveau chapitre. D’abord le 2 mars 1979, quand la Grande Halle est reconnue comme monument historique, puis en 1993, lorsqu’elle s'est transformée en un lieu vibrant de culture. Depuis elle accueille de nombreux événements, concerts, salons, expositions. Son imposante structure témoignant de l’importance de son héritage dans l'histoire parisienne.
Lorsque le parc de la Villette fut aménagé, la halle aux veaux, en mauvais état, fut détruite en 1980. La halle aux moutons, quant à elle, fut soigneusement démontée en 1986 et acquise par le département de la Seine-Saint-Denis, qui espérait la reconstruire ailleurs. La Halle aux cuirs, témoin de l'histoire des peaux traitées à La Villette, s'offre également une nouvelle vie culturelle. Et pour couronner le tout, depuis le 2 mars 1979, la Grande Halle est reconnue comme monument historique, témoignant de son importance et de son héritage dans l'histoire parisienne.
Photo de couverture : La grande halle de la Villette en 2011 - photo MBZT - WIKIPEDIA