Le vol de l'Aigle : le retour triomphal de Napoléon
H38G+C3 Vallauris Alpes-Maritimes
Dans le vaste panorama de l'histoire française, il existe des moments si captivants qu'ils semblent tout droit sortis d'un roman. L'un de ces chapitres est sans aucun doute l'odyssée de Napoléon Bonaparte, depuis l’évasion de son exil forcé sur l’île d’Elbe, jusqu'à son retour flamboyant à Paris.
En 1815, animé par un désir de reconquête et persuadé que sa mission était loin d'être terminée, Napoléon orchestre son évasion et entame un périple qui le conduira de nouveau jusqu’au pouvoir. Préparez-vous à découvrir un voyage épique, où le destin d'un homme et celui d'une nation se sont à nouveau entrecroisés dans un moment pivot de l'histoire française.
Napoléon l'exilé
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L'abdication de l'Empereur à Fontainebleau le 6 avril 1814, après la défaite de Waterloo
Au début de 1814, Napoléon se débat contre une Europe coalisée, résolue à le défaire. Malgré des éclairs de génie militaire, la marée des Alliés s'approche inexorablement de Paris. Napoléon, dans un dernier effort, tente de les contrer à Saint-Dizier, mais le destin l'entraîne vers Fontainebleau, théâtre de sa chute imminente. La défaite est amère. Poussé dans ses retranchements par ses propres maréchaux, l'empereur voit son règne s'effondrer. Le Sénat le renie dès le début d'avril.
L'arrivée de Napoléon sur l'île d'Elbe le 4 mai 1814
Face aux exigences des Alliés, il cède son trône, espérant naïvement le laisser à son fils. Mais le 6 avril, c'est une abdication sans conditions qui est signée, marquant le début de son exil sur l'île d'Elbe, un dénouement que lui-même n'aurait pu envisager. Les adieux de Fontainebleau, le 20 avril, marquent la fin d'une ère. Pendant que Napoléon s'éloigne, Louis XVIII, symbole d'un ordre ancien restauré, entre triomphalement à Paris.
L'évasion de l'île d'Elbe
La vie de Napoléon en exil
Carte de l'île d'Elbe en 1814
Dès son arrivée en exil sur l'île d'Elbe, Napoléon est déjà tourné vers l'avenir, rêvant de reconquête. Malgré ses efforts pour donner de l'éclat à ce royaume réduit, l'ennui le gagne, aggravé par des soucis financiers – une rente promise qui n'arrive pas. Isolé, il vit mal l'absence de sa femme Marie-Louise et de son fils. Elle a refusé de le rejoindre et a préféré rentrer à Vienne dans sa famille, les Habsbourg.
Désormais Napoléon règne sur un empire miniature. Malgré sa beauté et sa proximité avec la Corse, cela ne suffit pas à combler le vide laissé par l'absence de sa famille et le poids de ses ambitions perdues. De plus c’est depuis son exil sur l'île d'Elbe, qu’il voit Louis XVIII reprendre le trône de France. Malgré sa surveillance, Napoléon, même privé de moyens, travaille secrètement à planifier son retour.
Napoléon rêve d’évasion
Napoléon Ier quittant l'île d'Elbe. 26 février 1815, tableau de Joseph Beaume
Dès le 17 février 1815, profitant de l'absence du commissaire britannique Campbell, qui a la charge de sa surveillance, Napoléon orchestre discrètement l'armement de son voilier, « l'Inconstant ». Avec une facilité déconcertante, l'intendant Balbiani rassembla les nombreux ouvriers nécessaires au réarmement du navire. Mais « l'Inconstant » seul ne suffirait pas à porter l'ambition de Napoléon de retourner en France avec un millier d’hommes. Ainsi d'autres navires, dont l'étoile et plusieurs embarcations locales, furent discrètement préparés, sous l’œil d’une population bienveillante et muette. L'armement et les provisions furent embarqués en quelques jours.
Pendant ce temps Napoléon donnait le change, en multipliant les diversions. Ainsi il s’occupait consciencieusement des affaires de l’île. Durant cette période il organise la venue d'une troupe d'opéra, convoque la cour d'appel nouvellement créée, et planifie des travaux à Portoferraio. Évidemment il continuait à peaufiner son évasion, prévoyant même un plan de repli vers la Corse, si les choses tournaient mal. Les Britanniques furent alertés trop tard par les rumeurs d’un départ imminent. Napoléon connaissait l’inquiétude des Anglais à son égard, mais rien ne pouvait l’empêcher de finir les préparatifs de l'une des évasions les plus audacieuses de l'histoire.
L’évasion de l’île d’Elbe
Le brick Inconstant, du capitaine Taillade et ramenant Napoléon en France, croise le brick Zéphir, du capitaine Andrieux. Retour de l'Île d'Elbe, 18 février 1815 peint par Ambroise Louis Garneray
Napoléon profite de l'absence de Campbell, parti à Livourne, pour planifier avec précision son départ de l'île d'Elbe. Ainsi le 26 février 1815, Napoléon fait avancer l'heure de la messe, avant de confier sa mère et sa sœur, sous la responsabilité des habitants de l’île.
À 19h, Napoléon et ses hommes embarquent sur l'Inconstant, et les six autres navires qui composent la petite flotte. Napoléon sait que son voyage risque d’être entravé par la menace constante des flottes anglaise et française. Persuadé de sa réussite, sa détermination et sa soif de reconquête, le transforment en un formidable aventurier que rien ni personne ne pourra arrêter.
Le début du voyage
Le débarquement à Golfe-Juan
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Napoléon et sa flottille parviennent à éviter les navires de surveillance français et anglais. Le 1er mars 1815, Napoléon peut enfin toucher terre en France, non pas à Saint-Raphaël comme prévu, mais près de Vallauris, sur la plage de l’actuel Golf Juan. Son retour ne passe pas inaperçu, puisqu’il s’effectue sous les regards médusés de quelques douaniers. Le choix de ce lieu n'est pas anodin ; c'est une région que l'Empereur connaît très bien. D’une part, il avait pris l’habitude de sillonner la région à cheval quand il jeune officier, et de plus, c’est lui qui des années plus tard, avait décider de l’emplacement des batteries de la baie. Par conséquent, Napoléon savait bien que l’endroit choisit était sûre.
Mais même si ce retour sur la terre ferme se fait sans rencontrer la moindre résistance, rallier les cœurs à sa cause s'avère être une mission beaucoup plus ardue. C’est le cas notamment quand l'Empereur échoue, malgré ses efforts et ses proclamations, à convaincre le 87e régiment d'Antibes de le rejoindre. Ce premier échec ne l'arrête pas; il décide de poursuivre sa route, en laissant derrière lui les émissaires capturés par les royalistes. Après avoir rejoint Cannes, il prend la direction de Gap, en empruntant la route des Alpes, qui, bien des années plus tard, en 1932, sera rebaptisée « route Napoléon » en souvenir de son périple.
La progression de Napoléon vers le nord : les étapes clés
Pour l’inauguration de la route Napoléon, un cortège historique composé de cavaliers en costumes napoléoniens arrive à Sisteron en juillet 1932.
- 2 mars : C’est sous la neige, à 1000 mètres d’altitude, que Napoléon fait dresser le camp pour bivouaquer. Il profite de cet arrêt pour remettre en main propre, une bourse d'or à la mère du général Muiron, compagnon de l’empereur mort au combat.
- 3 mars : La route le mène à Castellane, où il rallie à sa cause un sous-préfet, écarté par Louis XVIII.
- 4 mars : Un incident vient perturber la journée : Un chariot qui contenait des caisses remplies de monnaie, chute dans un ravin. Arrivé à Digne, Napoléon reçoit un accueil très mitigé de la part de l'évêque. Peu importe ; les proclamations annonçant son retour sont imprimées et placardées dans la ville.
- 5 mars : À Sisteron, une forteresse qui aurait mettre fin au périple de Napoléon, laisse le convoi libre d’avancer. Les soldats royalistes, indécis, permettent sans le savoir à cette marche de l'histoire de continuer. Ce soir-là, Gap les accueille avec ferveur le retour de l’empereur, un soutien qui pousse Napoléon à abandonner son drapeau en signe de gratitude.
- 6 mars : Le groupe est accueilli par des paysans des environs, prêts à prendre les armes et à suivre Napoléon. À La Mure, le maire a refusé l’ordre qu’il a reçu de détruire le pont afin de bloquer le convoi. Il reçoit les félicitations de l'Empereur, autour de qui la résistance s'organise chaque jour un peu plus.
Le ralliement des troupes
Napoléon convainc l'armée de se joindre à lui
Le 7 mars, au cœur des paysages montagneux de Laffrey, un moment décisif de l'Histoire se joue. Face à une troupe envoyée depuis Grenoble avec l'ordre de l'arrêter, Napoléon, dans un geste quasi théâtral, s'avance seul vers les soldats qui le tiennent en joue et leur crie :
"Soldats du 5e de Ligne, je suis votre Empereur, reconnaissez-moi ! S’il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son Empereur, me voici ! ".
Ce moment, suspendu entre le possible et l'improbable, se résout dans l'acclamation des soldats, qui, refusant de tirer, se rallient à lui. La marche vers Grenoble se transforme alors en une procession triomphale, renforcée par le régiment de la Bédoyère. La ville, malgré la résolution de son gouverneur, cède sous la pression populaire et militaire. À Grenoble, Napoléon marque une pause, deux jours durant lesquels il tente vainement de contacter son épouse Marie-Louise.
Puis, sa route le mène au beau milieu de la nuit à Bourgoin-Jallieu. Là, malgré l'heure avancée, dans une ville tout illuminée, la population l’attend pour l'accueillir avec ferveur. Napoléon comprend que son voyage, empreint de défis, marque le début d'un retour triomphal vers Paris ; une épopée surnommée le Vol de l’Aigle.
Vers Paris
Lyon sans se battre
Première dépêche télégraphique de Lyon, 4 mars 1815. Ce message précise que « l'empereur est arrivé sur les côtes de France avec 1 600 hommes.
À Lyon, Napoléon démontre une fois de plus l'étendue de son influence. La ville, second joyau du royaume, devait être le théâtre d'une résistance orchestrée par le comte d'Artois, le futur Louis-Philippe Ier, et le maréchal Mac Donald, envoyés par Louis XVIII. Mais Lyon, loin de se barricader derrière ses illustres défenseurs, s'ouvre à Napoléon. Pendant deux jours à Lyon, Napoléon ne reste pas oisif. Il élabore une série de décrets, esquissant les contours d'une France rénovée sous son emprise.
Le 13 mars, il poursuit vers Mâcon, où il exprime son amertume face à la défense jugée insuffisante de la ville l'année précédente. À Châlons-sur-Saône, le lendemain, c'est un accueil différent qui l'attend : une députation de Dijon vient lui signifier l'expulsion des figures royalistes de la ville, un geste qui, au-delà de l'anecdote, marque l'adhésion à sa cause d'une partie de la population.
Les dernières étapes avant Paris
Napoléon sait que la partie est gagnée. De ce fait, il agit en souverain rétabli. Loin de se limiter aux proclamations et décrets, il orchestre le remplacement des notables royalistes par des fidèles, et distribue les honneurs. À Autun, le 15 mars, il apprend le ralliement du maréchal Ney, celui-là même qui avait juré de ramener l'Empereur en captivité. Napoléon lui demande de garder son poste, affirmant ainsi son autorité.
Le 16 mars, à Avallon, c'est une ville en fête qui accueille l'Empereur, avec le général Girard et deux régiments prêts à le soutenir. Le lendemain, à Auxerre, il inspecte le 14ème de ligne du colonel Bugeaud. Le 18 mars, la décision est prise : la marche sur Paris s'organise, avec le bataillon de l'Île d'Elbe en route par voie fluviale. Dans le même temps la Garde royale abandonne le roi pour Napoléon. Le 19 mars, il traverse Sens, chaque ville sur son chemin devenant l’une après l’autre les étapes de cette reconquête.
Le retour triomphal à Paris
La fuite de Louis XVIII
Louis XVIII est contraint à la fuite par Napoléon.
Dans la nuit du 19 mars, Louis XVIII abandonne les Tuileries, pour mettre le cap sur Beauvais, pour rejoindre Antoine Delamarre, l’organisateur de sa fuite vers la Belgique. Pendant ce temps à Paris les ministres tentent de s’enfuir, tandis que le maréchal Macdonald ordonne aux troupes royales de battre en retraite vers Saint-Denis, avant de reculer vers Beauvais.
Pendant ce repli, Napoléon et ses fidèles font leur entrée à Pont-sur-Yonne, marquant le début de la fin du régime royal. Louis XVIII a laissé derrière lui une armée en déliquescence, la preuve avec les troupes du duc de Berry, qui désertées par leurs officiers, décident de se rallier à Napoléon. Le nouvel homme fort du pays établit son quartier général à Fontainebleau.
Le triomphe de Napoléon à Paris
Le 20 mars marque une bascule dans l'histoire de Paris, la ville s'ouvrant progressivement aux bonapartistes. Le symbole de la nation, le drapeau tricolore retrouve sa place au sommet des édifices publics. Toute la capitale retient son souffle, en attendant le retour du "grand homme". Lorsque Napoléon franchit les portes des Tuileries, c’est un triomphe. Le général Thiébault, témoin de la scène y voit presque une résurrection du Christ. Ce retour triomphal dans son ancien palais, déserté par Louis XVIII juste la veille, est accueilli avec ferveur par les Parisiens.
Mais l'air du temps a changé. La soif de paix du peuple, l'inflexibilité des élites face à l'idée d'un régime autoritaire poussent Napoléon à envisager une nouvelle voie : celle d'une monarchie constitutionnelle. Conscient des attentes, il esquisse les contours d'un pouvoir renouvelé, distinct de celui de Louis XVIII. Pour incarner cette vision, il s'entoure d'une équipe de confiance – Cambacérès, Davout, Fouché, Carnot, Caulaincourt – et initie la formation d'une commission spéciale. Cette dernière, composée de modérés et même de Benjamin Constant, critique acerbe du régime impérial, est chargée de rédiger une nouvelle constitution. Napoléon ne le sait pas, mais il lui reste moins de 100 jours pour atteindre ses objectifs.
Le Vol de l’Aigle
Le "Vol de l’Aigle" reste dans l'histoire comme une prouesse audacieuse, témoignant de l'attachement profond de Napoléon pour son pays et de sa détermination à reprendre sa place sur l'échiquier politique français. Cet événement est un reflet des espoirs, des craintes et des aspirations d'une nation encore en quête de stabilité après les tumultes de la Révolution française et les guerres napoléoniennes.
En choisissant de mettre en lumière ce chapitre spécifique de la vie de Napoléon, on met en avant non seulement le génie stratégique et le charisme d'un leader hors du commun, mais également la complexité des sentiments qu'il suscite au sein du peuple français. Entre admiration et réprobation, le "Vol de l’Aigle" s'inscrit dans la mémoire collective comme le symbole d'un espoir éphémère de renouveau et de grandeur.