Jules Durand : le Dreyfus ouvrier condamné à mort

Quai Colbert Le Havre Seine-Maritime

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Victime d’une des plus grandes erreurs judiciaires françaises, Jules Durand, ouvrier syndicaliste du Havre, incarne la lutte contre une justice biaisée par les intérêts économiques. Découvrez l’histoire de cet homme, condamné à mort à tort en 1910, et son combat tragique pour la justice sociale.


L'HISTOIRE EN BREF

Jules Durand, militant dans un port sous tension

En 1910, le port du Havre, centre névralgique du commerce maritime français, est le théâtre de profondes inégalités sociales. Les dockers charbonniers, au cœur de l’activité portuaire, travaillent dans des conditions inhumaines. Leur quotidien est marqué par la précarité, des horaires interminables et un salaire insuffisant, souvent payé en jetons échangeables dans les bars, ce qui alimente un fort taux d'alcoolisme.

C’est dans ce contexte que Jules Durand, ouvrier et secrétaire du syndicat des charbonniers, se distingue par son engagement. Buveur d’eau et membre de la Ligue antialcoolique, il milite pour une amélioration des conditions de vie des dockers et s’oppose fermement à la violence. Mais son combat prend une tournure dramatique lors de la grève d’août 1910, provoquée par l’introduction du portique mécanique "Tancarville", perçu comme une menace pour l’emploi. Ce climat explosif prépare le terrain à l’une des plus grandes injustices judiciaires du XXe siècle.

De la rixe fatale au procès biaisé


Le navire le Tourraine en 1910, propriété de la compagnie générale transatlantique

Le 9 septembre 1910, alors que la grève des charbonniers du port du Havre entre dans sa troisième semaine, une rixe éclate sur le quai d’Orléans. Ce soir-là, plusieurs dockers, grévistes et non-grévistes, alcoolisés, s’affrontent dans une querelle qui dégénère. Louis Dongé, un contremaître non-gréviste, est frappé et succombe à ses blessures. Bien que Jules Durand, secrétaire du syndicat des charbonniers, n’ait pas été présent, il est accusé de complicité d’assassinat. Cette accusation repose sur des témoignages douteux, largement influencés par la Compagnie Générale Transatlantique, qui cherche à écraser le mouvement ouvrier. Les tensions sont exacerbées par le recours aux "renards", ces ouvriers extérieurs embauchés pour remplacer les grévistes et briser le mouvement. Leur présence sur le port attise la colère des dockers en grève, les accusant de trahison. C’est dans ce contexte que les employeurs, soutenus par la presse locale comme Le Havre Éclair, orchestrent une campagne visant à discréditer Jules Durand, présenté comme un leader dangereux et violent.

Durand est arrêté le 11 septembre. Défendu par René Coty, alors jeune avocat, Jules Durand se sachant innocent, reste serein. Mais le procès, qui s’ouvre le 23 octobre à Rouen, est marqué par des manipulations flagrantes. Les témoins à charge, habillés élégamment et transportés aux frais de la Compagnie Générale Transatlantique, accusent Durand d’avoir incité au meurtre lors d’une réunion syndicale. Pourtant, le chef de la sûreté du Havre, M. Henry, produit un rapport affirmant que Durand n’a jamais tenu de propos violents et que ces accusations ne correspondent ni à son comportement ni à sa personnalité. Malgré ces éléments disculpants, le tribunal oriente les jurés vers un verdict de culpabilité. Le 25 novembre 1910, Jules Durand est condamné à mort, un verdict d’une sévérité inouïe. Les jurés eux-mêmes, choqués par cette sentence, demandent immédiatement une grâce présidentielle. Ce procès, rapidement qualifié de "parodie judiciaire", incarne les dérives de la justice de classe, où le pouvoir économique domine le système judiciaire.

Jules Durand, symbole de la lutte sociale


Drapeau militant représentant Jules Durand drapeau dans une manifestation au Havre. Source : Philippe Alès — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, Lien

Sous la pression d’une mobilisation nationale et internationale, orchestrée par des figures comme Jean Jaurès et la Ligue des Droits de l’Homme, Armand Fallières, président de la République, commute la peine de Durand en sept ans de réclusion le 31 décembre 1910. Toutefois, cette injustice a des conséquences dévastatrices : accablé par l’injustice, Durand sombre dans un état de confusion mentale et est interné en 1911.

En 1918, après des années de lutte juridique, Jules Durand est définitivement réhabilité par la Cour de Cassation, mais il ne recouvre jamais la santé. Il meurt à l’asile de Sotteville-lès-Rouen en 1926, laissant derrière lui une famille brisée. Aujourd’hui, son histoire est devenue un symbole de la lutte contre les abus de pouvoir en appelant à la vigilance judiciaire. Plus d’un siècle plus tard, en 2018, la statue de son buste qui a été inaugurée sur le quai Colbert du Havre, a pour objectif d’honorer sa mémoire, et de rappeler l’importance de son combat pour la justice sociale.


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