L'Histoire de Peugeot à Sochaux

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« Je suis persuadé que la locomotion automobile est appelée à prendre un développement énorme. Si nous sommes assez hardis et habiles, nous ferons de Peugeot l’une des plus grandes affaires industrielles de France. » Armand Peugeot en 1892

À Sochaux, la frontière entre la ville et l'usine est plus qu'estompée ; elle est pratiquement inexistante. Les routes, comme si elles étaient magnétiquement attirées, convergent inévitablement vers l'usine Peugeot. Ici même le stade de football semble être une extension de l’immense complexe industriel. Ici la majorité des habitants composent la communauté ouvrière, qui fournit la main-d'œuvre indispensable à cette mécanique bien huilée. Voici l’histoire de cette usine dans la ville, à moins que ce ne soit l’inverse.

Les Origines de Peugeot

1912, Les fondations d’une dynastie

Tout a commencé en 1912, dans cette plaine autrefois marécageuse. La Société Anonyme des Automobiles et Cycles Peugeot a choisi ce lieu, entre le modeste village de Sochaux et la petite bourgade de Montbéliard, pour assembler ses camions et fourgonnettes. Ce fut l'acte de naissance de ce qui allait devenir, pendant des décennies, la plus grande usine de France et le moteur économique d'une région entière. À l'apogée de l'ère des Trente Glorieuses, l'usine Peugeot employait une armée de 40 000 personnes, représentant près de 40 % de la population active de l'agglomération montbéliarde.

Le Tournant de 1914-1918

De l'Automobile à l'Armement 

Durant la Première Guerre mondiale, l'usine se réoriente pour soutenir l'effort de guerre, produisant des obus, ainsi que des moteurs pour les avions et pour les chars. Occupant alors 21 000m² et employant 400 personnes, elle ne reviendra à la production automobile qu'en 1921. Durant la Première Guerre mondiale, les effectifs de l'usine passent de 400 à 2 000 ouvriers.

 

Initialement conçue pour la production de camions, Peugeot élargi rapidement élargi ses horizons, en faisant l’acquisition dès 1917 de 200 hectares supplémentaires le long de la rivière Allan, anticipant une expansion future. La famille Peugeot n'est pas novice dans le domaine industriel de la région ; leur présence y est ancrée depuis plusieurs générations. Inspirés par un voyage à Detroit, berceau de l'industrie automobile, ils reviennent avec une idée fixe : il leur faudra de l'espace, beaucoup d'espace, pour réaliser leurs ambitions automobiles.

Les années 20, Peugeot s'organise

L’arrivée du Fordisme

Pour répondre aux besoins croissants de l'armée en matière d'obus, Peugeot a dû repenser sa manière de produire. Inspirée par les principes du Fordisme, l'Organisation Scientifique du Travail (OST) a été introduite dans l'usine. Cette nouvelle méthode a nécessité l'interchangeabilité des pièces, la division du travail en tâches élémentaires et le chronométrage précis de chaque étape du processus de montage. Avant cette révolution, les châssis étaient montés sur des tréteaux au centre de l'atelier, avec des ajusteurs travaillant à des établis le long des murs.

Ernest Mattern, le directeur général technique de l'époque, a pris les devants pour transformer ce travail en un flux continu. Bien que cette modernisation n'ait pas entraîné une hausse significative des salaires, elle a captivé l'attention de nombreux ingénieurs. Ces derniers ont vu dans l'OST une opportunité de moderniser l'usine tout en affirmant leur propre rôle. Grâce à ces changements, l'usine a pu accueillir jusqu'à 10 000 ouvriers dans les années 1920.

 

L'Expansion Visionnaire de la Famille Peugeot

Pour Robert Peugeot, l’objectif est clair : Il faut centraliser toutes les activités automobiles de la famille, alors éparpillées sur divers sites locaux. Ce n'est qu'en 1929 que la vision prend forme avec la production en série de la Peugeot 201, orchestrée selon les principes fordistes par l'ingénieur Ernest Mattern.

 

L'Âge d'Or des Années 30

L'Usine se transforme

L'usine connaît une croissance rapide, passant de 21 000m² en 1918 à 220 000m² en 1930. Sa superficie est multipliée par 10 en moins de 15 ans. De ce fait le nombre d'employés augmente aussi de manière exponentielle, rendant plus que nécessaire la construction de logements pour les ouvriers et l'organisation de transports en commun. En 1937, l’usine que l’on appelle désormais "la grande maison", emploie 14 533 personnes.

 

Peugeot et ses Ouvriers du Monde Entier

L'usine Peugeot ne se contente pas d'être le cœur économique de la région ; elle est aussi un creuset de diversité. Face à un besoin croissant de main-d'œuvre, l'usine n'hésite pas à élargir ses horizons. Des logements préfabriqués voient le jour pour accueillir d'abord les travailleurs venus des Vosges. Puis l'usine ouvre ses portes aux Russes, aux Italiens, aux Suisses. L'après-guerre marquera un nouveau chapitre, avec l'arrivée des Vietnamiens, des Maghrébins et des Yougoslaves. Chaque vague d'immigration enrichit le paysage culturel de l'usine, faisant de ce lieu de production un véritable microcosme du monde.

La création du FC Sochaux

Les lions visent la cage

En 1928, le football fait son entrée dans l'univers Peugeot. Jean-Pierre Peugeot, à la tête de l'entreprise à l'époque, lance le Football Club Sochaux-Montbéliard, communément appelé FC Sochaux. Ce n'était pas seulement une initiative sportive, mais aussi une stratégie pour renforcer les liens avec les ouvriers et leur offrir des loisirs. Le club servait à la fois de vitrine pour la marque Peugeot et d'outil pour maintenir une harmonie sociale au sein des ateliers de l'usine.

 

Dans ses premières années, le FC Sochaux se concentre sur l'attraction des talents du football pour offrir un spectacle de qualité et, par la même occasion, détourner l'attention des ouvriers de distractions moins constructives. Les joueurs bénéficient non seulement d'une rémunération attractive, mais aussi d'avantages sociaux avant-gardistes, comme des jours de repos supplémentaires et une couverture sociale financée par des cotisations.

Le soutien indéfectible de Peugeot permet au club de s'élever rapidement dans les rangs du football français. En 1935, le FC Sochaux décroche son premier titre de champion de France en écrasant l'Olympique de Marseille avec un score sans appel de 4-0.

Les Épreuves de la Seconde Guerre Mondiale

Les Allemands aux commandes

Au début de la Seconde Guerre mondiale, l'usine est au service de l'armée française, jusqu’à ce qu’elle soit réquisitionnée par les Allemands 1940, et placée sous la responsabilité de Ferdinand Porsche. Certains ouvriers hostiles organisent une grève du zèle. Puis viendra le temps des actes de sabotage qui visent à paralyser la production. Ces actes sont savamment orchestrés par des membres du personnel proches des mouvements résistants.

Auguste Bonal et La Résistance Silencieuse

Pendant l'occupation allemande, l'usine Peugeot à Sochaux se trouvait dans une situation délicate. Les Allemands voulaient maximiser la production de l'usine pour soutenir leur effort de guerre. Cependant, la direction de l'usine, menée par des figures comme Auguste Bonal, a orchestré une forme de résistance subtile. Ils ont ralenti la production et saboté les installations de manière discrète. Le but était double : produire suffisamment pour éviter le déplacement des ouvriers et des équipements en Allemagne, tout en minimisant les risques d'un autre bombardement allié dévastateur comme celui du 16 juillet 1943, qui avait fait 125 morts et 250 blessés.

Cette stratégie de résistance passive a également été influencée par la volonté d'éviter la production de composants pour les fusées V1 allemandes. Cette situation a conduit à une augmentation des actes de sabotage et à une baisse de la productivité. Auguste Bonal, connu sous le nom de "Tobus" dans la Résistance, a été arrêté à deux reprises. La première fois, il est emprisonné à la Butte à Besançon, où il restera jusqu'à Noël 1943, avant d'être remis en liberté surveillée. De nouveau arrêté par la Gestapo, il sera finalement déporté dans les camps en Allemagne. Le stade du Football club de Sochaux porte aujourd’hui le nom d’Auguste Bonal.

Renaissance et Expansion Post-Guerre

La Conquête de nouveaux territoires

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Après la guerre, l'usine entre dans une phase de reconstruction puis de développement. Dans les années 50, elle s'étend vers le sud, franchissant la rivière Allan. Des travaux de drainage sont entrepris pour accueillir de nouveaux ateliers et des parkings pour les véhicules avant leur expédition.

Les Épreuves et les Révoltes

Mai 68

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Jusqu'en 1972, Sochaux demeure la seule unité de production automobile de Peugeot. Une usine qui sera témoin d'événements sociaux marquants. C’est le cas en mai et juin 1968, lorsque des grèves éclatent, mettant à l’arrêt pendant plusieurs semaines la production du groupe. La répression qui s'ensuit par les forces de l’ordre fera deux morts à l'usine. Deux morts sur les quatre recensés en France pendant les événements de Mai 68.

 

1989, La plus longue grève

À Sochaux sur le site Peugeot, la grève la plus longue s'est déroulée du 8 septembre au 26 octobre 1989. Ce mouvement social avait débuté quelques jours auparavant à l'usine Peugeot de Mulhouse. En dépit des bénéfices colossaux de 8 milliards de francs réalisés par l'entreprise en 1988, l'annonce d'une modeste augmentation salariale de 1,5 % a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Ce mécontentement était également alimenté par l'intensification des charges de travail et les changements managériaux que la direction envisageait.

 

Cette grève est marquée par une unité syndicale inébranlable, et par la forte participation de non-syndiqués. Les femmes ont joué un rôle significatif dans le mouvement, aux côtés des travailleurs précaires, immigrés ou intérimaires. Les grévistes manifestent partout, aussi bien dans les ateliers que dans les rues de la ville. La force du mouvement réside dans l’établissement d’une démocratie interne, dans laquelle les décisions sont prises collectivement lors d’assemblées générales quotidiennes.

Du Déclin à la Renaissance

Déclin de la plus grande usine française

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À son apogée en 1979, l'usine de Sochaux employait 40 000 personnes, ce qui en faisait la plus grande usine de France. Aujourd'hui, elle compte 10 805 employés, et c'est Airbus Opérations à Toulouse qui détient le titre de plus grand site industriel de France avec 13 700 employés. Mais l'usine de Sochaux n'a pas prononcé son dernier mot. Avec le projet "Sochaux 2022", elle se prépare à devenir l'usine la plus moderne du groupe Stellantis en Europe.

Vers une Usine du Futur

Aujourd'hui, l'usine s'étend sur 265 hectares et emploie près de 20 000 personnes, produisant 1 800 véhicules par jour. Elle est devenue un pilier de l'industrie automobile française, symbolisant à la fois la résilience et l'innovation. En février 2022, le groupe Stellantis lance le projet "Sochaux 2022", visant à faire de ce site emblématique l'usine la plus avancée du groupe en Europe.

Une histoire qui dure

Le lion emblématique qui orne le logo de Peugeot puise ses racines dans le blason de la ville de Sochaux. Dans cette localité, il est difficile de trouver une famille qui n'a pas un lien avec PSA, le géant de l'automobile qui domine l'économie locale. L'histoire de l'entreprise et celle de la ville sont si étroitement liées qu'elles semblent n'en faire qu'une.

 

Depuis sa création en 1988, le musée de l’Aventure Peugeot, une initiative de la famille Peugeot, attire plus de 100 000 curieux chaque année. Situé dans le cœur historique de Sochaux, le musée s'étend sur une superficie impressionnante de 45 000 mètres carrés et abrite une collection de 450 véhicules. Et qui mieux que d'anciens employés de PSA pour servir de guides ? Ils prennent un malin plaisir à faire découvrir aux visiteurs le monde de l'automobile à travers le prisme de leur propre usine.