Le pont transbordeur de Rouen, un trait d'union entre deux rives

Rouen Seine-Maritime Normandie

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De nos jours le pont transbordeur de Rouen n'existe plus. Mais son histoire elle, vit encore, et elle nous en dit beaucoup sur l'éternelle problématique de la ville, pour réunir ses deux rives. Nous sommes à la fin du XIXe siècle, et la ville de Rouen doit faire face au développement constant de sa rive gauche.

Le pont transbordeur de Rouen, voyage d’une rive à l’autre

À l’époque seuls trois ponts, dont un exclusivement dédié au chemin de fer, permettent de traverser la Seine. Contrainte de repenser ses moyens de franchissement, la municipalité adopte le 23 septembre 1895, le projet audacieux d'un pont transbordeur, proposé par l’ingénieur Ferdinand Arnodin. L’Ingénieur a de l’expérience, puisqu’il a déjà construit un pont transbordeur deux ans auparavant, « le pont de Biscaye » à l’entrée du port de Bilbao. L’industriel sait que ce projet peut lui rapporter gros, Arnodin ayant proposé non seulement la réalisation de l’ouvrage, mais aussi la concession pour son exploitation.

Une fois l’affaire signée, les travaux débutent à l'automne 1897, marquant une étape clé dans l'évolution des infrastructures de la ville. Une fois le problème du passage des plus grands navires résolu, la ville décide de faire construire son pont transbordeur à l'ouest de la ville, en bas du Boulevard des Belges, son emplacement de l’époque étant très proche de l’actuel pont Guillaume le conquérant. Le pont transbordeur de Rouen sera inauguré le 15 septembre 1899, devenant ainsi le premier pont transbordeur de France, et le second en Europe.

Une conception bien rodée

Le paysage de Rouen change radicalement. À présent deux imposants pylônes de 62 mètres de hauteur se dressaient majestueusement sur chaque rive du fleuve. Des Haubans ancrés de part et d’autre les maintiennent fermement. Ces deux pylônes sont reliés par un tablier métallique suspendu à 50 mètres au-dessus des quais. Pour les promeneurs et les touristes, une ascension à travers un escalier vertigineux installé sur les pylônes offrait une expérience sensationnelle, très prisée pour les balades dominicales.

De là-haut, un chariot électrique glisse d’une rive à l’autre, en portant une nacelle juste au-dessus de l’eau. La nacelle, accessible depuis le niveau des quais, suivait un horaire strict avec un départ toutes les six minutes. Ses dimensions étaient impressionnantes : Avec ses 13 mètres de large, elle pouvait accueillir jusqu'à 200 personnes et 2 à 6 véhicules simultanément.

Une histoire de classe

Ce pont transbordeur offrait deux espaces distincts pour les voyageurs : une première classe, située à droite, abritée dans une cabine vitrée, et une seconde classe, à gauche, exposée aux éléments. Au milieu une chaussée permettait de stationner les véhicules. Géré comme un pont privé par Arnodin et ensuite par ses descendants, l'accès était payant : 10 centimes pour la première classe et 5 centimes pour la seconde en 1920.

Une histoire pleine d'anecdotes

La gratuité pendant la guerre

L'histoire du pont transbordeur de Rouen est un véritable voyage dans le temps, marqué par des événements remarquables et des anecdotes captivantes. Au début de son histoire, sa nacelle, devient rapidement un élément vital pour la traversée des piétons, des chariots et des automobiles. Cette importance s'accroît particulièrement durant la Première Guerre mondiale, période durant laquelle Ferdinand Arnodin, dans un élan de patriotisme, déclare le passage gratuit pour tous.

Des anecdotes fascinantes jalonnent l'existence du pont. Parmi celles-ci, l'épisode du 5 mai 1912 reste gravé dans les mémoires. Ce jour-là, l'aviateur Marcel Cavelier accomplit une prouesse remarquable en passant sous le pont avec son aéroplane, remportant ainsi le prestigieux prix Claudel et ses 1000 francs. Cette performance, réalisée avec un monoplan, contribue à l'histoire naissante de l'aviation. De plus, le pont a joué un rôle clé dans les premiers essais de parachutisme, ajoutant un autre chapitre passionnant à son histoire. À l'époque, le pont transbordeur est un lieu de festivités, même si certains événements eurent une issue tragique, notamment lors de tentative de plongeons acrobatiques.

Il fût aussi le témoin de la vie d'un port en plein essor, voyant arriver et partir des navires du monde entiers. En 1910, le Pourquoi-pas, célèbre navire du Commandant Charcot revenant d'une expédition polaire, navigue sous le pont, ajoutant une note d'exploration et d'aventure à l'histoire de cette structure. En mai 1926, le pont transbordeur ferme pour une réfection générale, marquant une pause dans son service jusqu'en juillet 1930. Après sa réouverture, il continue de servir la ville jusqu'à ce jour fatidique du 9 juin 1940, date à laquelle les événements de la Seconde Guerre mondiale viennent mettre un terme à son histoire riche et variée.

La destruction de tous les ponts

Le 9 juin 1940, lorsque l'armée allemande approche de la ville, Rouen qui en tant que "Ville ouverte" aurait dû se rendre sans résistance va choisir une voie différente. En effet le commandement militaire a pris finalement la décision de défendre la ville. L’objectif est d’une part de couvrir la retraite des troupes anglaises, et d’autre part de garder les ressources du port, comme le pétrole, hors de portée de l’envahisseur.

Photo prise en juin et août 1944, montrant les destructions de Rouen après les bombardements massifs de Rouen pendant la semaine du 30 mai au 5 juin 1944.

Ainsi des artilleurs postés sur le Pont Corneille, entament les hostilités en ouvrant le feu sur les premiers chars allemands qui s’engagent rue de la République. Dans le même temps les soldats du Génie Français entament le sabotage systématique de tous les ponts qui traversent la Seine. Le pont transbordeur n'échappera pas à ces destructions systématiques. En représailles, les forces allemandes infligent à Rouen une punition brutale. Ils incendient méthodiquement le sud de la ville, réduisant en cendres la zone s'étendant de la Cathédrale à la Seine.

Réunir à nouveau les deux rives

Durant l'occupation qui s'ensuit, Rouen se retrouve parsemée de ponts provisoires, succédant aux structures érigées hâtivement après l'invasion. En 1944, l'approche du Débarquement en 1944 annonce une nouvelle vague de destruction. Les bombardements stratégiques alliés, visant à préparer le terrain pour les forces libératrices, ne peuvent épargner ces ponts fragiles. Avec la Libération vient un défi colossal : reconstruire Rouen, une ville profondément marquée par les blessures de la guerre et par les sacrifices de ses habitants.