L'affaire Caillaux, une histoire de gros titres
26 Rue Drouot Paris
«Mme Caillaux est-elle coupable d’avoir, le 16 mars, à Paris, commit un homicide volontaire sur la personne de Gaston Calmette?», le chef du jury a répondu: «Sur mon honneur et ma conscience, devant Dieu et devant les hommes, la déclaration du jury est non.»
Le 16 Mars 1914, il est environ 18 Heures lorsque Gaston Calmette, le patron du journal "Le Figaro" est froidement abattu dans son bureau par Henriette Caillaux, l'épouse d'un homme politique très en vue à l'époque. Dans les méandres de l'histoire, certains événements captent l'attention au-delà de leur époque.
Surtout quand quelques mois plus tard, un verdict retentissant fait les gros titres en France : Henriette Caillaux, épouse du récent ex-ministre des Finances, est acquittée de cet assassinat. Comment une femme accusée d'un crime aussi grave a-t-elle pu échapper à la condamnation ? Quels jeux de pouvoir et quels sentiments humains ont conduit à cette décision surprenante ? C'est ce que nous vous proposons de découvrir à travers l'histoire de l'affaire Caillaux.
Une campagne dévastatrice
Logotype du Figaro en 1914
En ce début d’année 1914, dans tous les cafés chics de France un journal fait parler de lui : Le Figaro. Ce quotidien, prisé par la bourgeoisie, devient l'élément central d'une histoire digne d'un roman. Il faut dire qu’à l’époque, le Figaro tente de mettre à mal Joseph Caillaux, le ministre des Finances, connu pour ses idées pacifistes envers l'Allemagne. Pendant trois mois, Le Figaro lance une offensive médiatique sans précédent : 110 articles accusant Caillaux de tout, de la fraude fiscale, en passant par la corruption et jusqu’à la trahison envers la nation.
Un tournant inattendu
Le 10 mars 1914, l'affaire prend un tournant dramatique. Gaston Calmette, le directeur du journal, menace de dévoiler des lettres privées de Caillaux. Ces lettres, issues du passé, sont entre les mains de son ex-épouse, Berthes Gueydan. C'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase pour Henriette Caillaux, l'épouse actuelle du ministre.
Le rendez vous imprévu
Gaston Calmette jeune, photographié par Nadar en 1889
Il est 18 heures ce 16 mars, quand Gaston Calmette, regagne son bureau du Figaro. Sa secrétaire lui apprend qu’une visiteuse l'attend depuis un moment. Cela surprend Calmette qui ne se rappelle pas d'avoir un rendez-vous et qui n’a de toute façon pas le temps pour l’honorer. D'autres obligations l'appellent ailleurs. Pourtant quand il apprend le nom de cette mystérieuse visiteuse, il change immédiatement d'avis. C'est d’ailleurs avec une certaine stupeur qu'il s’apprête à accueillir dans son bureau Mme Henriette Caillaux, qui n’est autre que la femme de Joseph Caillaux, l’un de ses pires ennemis politiques.
Il faut dire qu’à ce moment-là, Calmette et son journal livrent une véritable guerre médiatique à Caillaux. Récemment, Calmette a même décider de franchir la ligne rouge, en annonçant la parution imminente de correspondances privées du ministre. C'était un pas audacieux, voire risqué, qu'il n'avait jamais osé franchir auparavant. Mais pour Calmette, ces méthodes controversées se justifiaient pour contrer les idées pacifistes de Caillaux, en pleine campagne électorale dans la Sarthe.
L’heure du crime
Henriette, avant de franchir les portes du Figaro, avait déjà pesé ses options. Elle savait que la justice ne pouvait pas empêcher la publication des lettres compromettantes. Mais elle était déterminée à mettre un terme à cette campagne acharnée contre son mari, Joseph Caillaux. Obsédée par la situation, elle avait même pris le temps de compter : 138 articles en 95 jours, tous visant à dénigrer son mari dans les pages du journal. Cet assaut médiatique constant laissait des traces profondes sur leur réputation.
Poussée à bout, Henriette Caillaux décide de prendre les choses en main. Elle se procure un pistolet automatique Browning. Lorsqu'elle rencontre enfin Calmette, après quelques échanges de courtoisie, elle révèle la véritable raison de sa visite. Sans hésitation, elle sort l'arme et tire six fois, deux balles atteignant mortellement le directeur du Figaro qui s'effondre.
Dans un acte désespéré, elle lance : “Puisqu’il n’y a pas de justice en France”, avant de se rendre aux autorités sans résistance. Ce geste dramatique et tragique marque non seulement la fin d'une campagne médiatique implacable, mais aussi le début d'une affaire judiciaire qui allait captiver et diviser l'opinion publique française.
Un scandale qui fait écho
L'incident déclenche un scandale qui résonne dans toute la France, rappelant l'affaire Dreyfus. Politique, médias, justice : tout se mêle dans cette affaire qui captive le pays. Le procès d'Henriette Caillaux devient l'un des plus suivis de la Belle Epoque. Un procès qui tient la France en haleine, illustrant à quel point les passions et les jeux de pouvoir peuvent influencer le cours de l'histoire.
Un procès qui passionne
Henriette Caillaux en 1910
Le 20 juillet 1914, Paris se transforme en une scène théâtrale. La cour d'assises de la Seine ouvre le procès d'Henriette Caillaux. C'est un spectacle : les gens se bousculent pour obtenir des billets, comme pour la première d'une pièce de théâtre. Dans la salle d'audience, on s'arrache les meilleures places et on installe des ventilateurs, anticipant les émotions fortes.
Une tragédie peut en cacher une autre
L'attentat de Sarajevo, élément déclencheur de la Ière guerre mondial
Pendant ce temps, un événement majeur secoue l'Europe : l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand à Sarajevo. Mais ce drame international est éclipsé, du moins en France, par l'affaire Caillaux. La presse se jette sur le procès avec un appétit vorace. Photographies, illustrations, titres dramatiques... tout est fait pour captiver le lecteur. L'Excelsior, le 18 mars, parle de « La Tragédie du 'Figaro' », tandis que Le Petit Journal titre sur le « Tragique épilogue d’une querelle politique ». Le procès devient une sensation nationale.
Un procès fleuve
La foule qui se presse devant le palais de justice
Du 20 au 28 juillet, la cour d'assises tient sept audiences. Le témoignage de Berthe Gueydan, la première épouse de Joseph Caillaux, est particulièrement attendu. Les Français, entre curiosité et voyeurisme, veulent tout savoir de ce triangle amoureux. Berthe, en noir, cheveux bruns et gantée de blanc, offre un contraste théâtral avec Henriette, blonde et coiffée d’un chapeau à grandes plumes.
Le procès Caillaux est plus qu'un simple jugement, c'est un drame en plusieurs actes, se déroulant sous les yeux d'une France captivée. Un mélange de politique, de passion et de tragédie personnelle, reflétant l'époque de la Belle Époque avec ses tensions et son sens du spectacle.
Le dernier acte de la tragédie
Maître Fernand Labori plaidant la cause d'Henriette Caillaux
L'acquittement d'Henriette Caillaux se joue comme le dernier acte d'un drame captivant. Au tribunal, c'est un duel entre géants du droit. Fernand Labori, l'avocat qui a défendu Alfred Dreyfus et Emile Zola, représente Henriette. En face, Charles Chenu défend la partie civile, prêt à argumenter que l'acte d'Henriette était un crime politique mûrement réfléchi.
Le procès est une bataille de récits. Chenu insiste : l'assassinat est le fruit d'une machination politique de Joseph Caillaux, ancien ministre, utilisant sa femme comme pion. Mais Labori joue une autre carte. Il tisse sa défense en exploitant les préjugés de l'époque, peignant le meurtre comme un geste passionnel, celui d'une femme brisée par l'humiliation.
La liberté ou l’échafaud
Le 28 juillet 1914, le verdict tombe : Henriette Caillaux est acquittée, échappant à la peine de mort. La réaction est immédiate. L'Humanité et Le Figaro publient des titres polarisés : « Mme Caillaux acquittée » contre « Le verdict de la honte ». Pendant ce temps, la déclaration de guerre de l'Autriche à la Serbie, événement mondial majeur, n'occupe que quatre colonnes dans les journaux.
L'affaire Caillaux reste en première page jusqu'au 31 juillet, jour où un autre drame frappe la France : l'assassinat de Jean Jaurès. Cette affaire, plus qu'un simple procès, est devenu le reflet des tensions et des passions de l'époque, captivant le pays tout entier jusqu'à son dénouement inattendu.