Claude Nougaro, hommage à un géant

14 Rue Saint-Julien le Pauvre Paris

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« J'aime la vie quand elle rime à quelque chose J'aime les épines quand elles riment avec la rose J'aimerais même la mort si j'en sais la cause. » Claude Nougaro

C’est au numéro 14  de la rue saint julien des pauvres que Claude Nougaro s’est éteint le 4 mars 2004. Dans le paysage musical français, rares sont les artistes qui ont su tisser un lien aussi intime et vibrant avec leur public que Claude Nougaro, cet immense artiste au talent inné pour les mots et les mélodies. Son parcours, depuis les ruelles de Toulouse jusqu'aux plus grandes salles de spectacle, raconte l'histoire d'un homme dont la vie fut une symphonie de poésie, de jazz, et d'émotions brutes. A travers cet article retracez le voyage de cet « enfant du jazz », du jeune poète rebelle à l'artiste génial, dont la voix unique et les textes percutants continuent de résonner dans l'âme de la chanson française.

Nougaro un enfant heureux

Claude Nougaro est né dans une famille où les notes de musiques résonnaient à chaque coin de la maison. Son père, Pierre Nougaro, brillait sur la scène de l'Opéra de Paris, tandis que sa mère, Liette Tellini, italienne et virtuose du piano, enseignait cet instrument avec passion. Claude grandit dans un foyer bercé par les mélodies et les récits.

À Toulouse, dans le quartier des Minimes, c’est à travers le poste radio de ses grands-parents, que Claude Nougaro découvre le jazz. La TSF lui livre les trésors de Glenn Miller, Édith Piaf, et Bessie Smith. Mais c'est Louis Armstrong qui l'inspire profondément et lui donne l'envie de vivre sa vie en musique.

Une jeunesse chaotique

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La jeunesse de Nougaro est un voyage à travers divers horizons. Il clôturera une scolarité chaotique dans différents établissements par un échec au baccalauréat. Mais qu’à cela ne tienne, le jeune homme ne se laisse pas abattre, et suivant son goût pour l’écriture, il parvient à se faire embaucher dans un journal de Vichy.

A l’heure du service militaire, Claude est envoyé à Rabat au Maroc. Une période mouvementée pour Claude, qui passera en tout dix mois de son service militaire au cachot. À son retour, il part travailler un temps en Algérie pour "La Dépêche de Constantine", avant de revenir à Paris, où la musique l'appelle. Là, il écrit pour Marcel Amont et Philippe Clay, mais c'est sa rencontre avec Georges Brassens qui marque un tournant. Brassens devient son ami, son mentor. Sous son influence, Claude Nougaro cultive son talent poétique, jonglant entre romantisme et humour.

Les débuts de Nougaro

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Imaginez Paris en 1954, vibrant au rythme du jazz et de la poésie. C'est là, au cœur de Montmartre, dans l'atmosphère chaleureuse du Lapin Agile, un cabaret légendaire, que Claude Nougaro fait ses premiers pas sur scène. Ce lieu, fréquenté par des artistes comme Jean-Roger Caussimon, devient son terrain de jeu. Ici, Nougaro récite ses poèmes, distillant ses mots avec passion et émotion.

 

L'ambition de Nougaro le pousse à envoyer ses textes à Marguerite Monnot, célèbre compositrice d'Édith Piaf. Elle les transforme en mélodies captivantes, donnant naissance à des titres comme « Méphisto » et « Le Sentier de la guerre ». C'est un tournant pour Nougaro : au Lapin Agile, il décide de chanter ses propres chansons pour gagner sa vie, commençant ainsi une aventure musicale inoubliable.

La tournée des cabarets

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En 1957, son premier titre marquant, « Direction Vénus », voit le jour. Nougaro se produit alors dans d'autres cabarets parisiens, comme le Liberty's et La Tête de l'art, partageant son talent et sa vision unique de la musique et de la poésie. Durant cette période, il n'est pas seulement un chanteur, mais aussi un parolier recherché. Des artistes comme Jacqueline François et Philippe Clay interprètent ses textes, donnant une nouvelle dimension à son œuvre.

 

En 1958, un événement marquant : les premiers enregistrements de Nougaro sont édités. Un super 45 tours sort, précurseur de l'album « Il y avait une ville » qui paraîtra l'année suivante. Ces chansons, coécrites avec son partenaire Michel Legrand, marquent les débuts discographiques d'un artiste qui laissera une empreinte indélébile dans la chanson française.

Le rêve se réalise

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L'étoile de Claude Nougaro commence vraiment à briller en 1962, lorsqu'il rejoint la maison de disques Philips et travaille avec Jacques Canetti, son directeur artistique. Cette période marque un tournant avec des chansons comme « Une petite fille » et « Cécile ma fille », dédiées à sa fille. Ces titres charment le grand public, bien que Nougaro ait déjà commencé à se faire un nom en assurant les premières parties des concerts de Dalida.

 

Dans les années 60, Nougaro révolutionne la chanson française avec des rythmes nouveaux, puisant son inspiration dans le jazz. Il crée des hits comme « Les Mains d'une femme dans la farine », « Les Petits Bruns et les Grands Blonds », « Le Cinéma », « Chanson pour Marilyn », et « Le Jazz et la Java », cette dernière s'inspirant de « Three to Get Ready » de Dave Brubeck.

 

Sa collaboration avec Michel Legrand donne naissance à des classiques comme « Le Cinéma » et « Les Don Juan ». Il travaille aussi avec Jacques Datin sur des titres emblématiques comme « Cécile, ma fille ». Une période pendant laquelle l’artiste osera parler de sa relation complexe avec l’alcool avec des titres comme « Je suis sous » ou plus tard «Tu verras ».

Une sensibilité à fleur de mots

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En 1965, à la suite de la disparition de son ami Jacques Audiberti, Nougaro lui rend hommage en chanson avec « Chanson pour le maçon ». C'est aussi à cette période qu'il commence sa collaboration avec le pianiste de jazz Maurice Vander, qui deviendra un partenaire musical essentiel. Outre Vander et Legrand, Nougaro s'entoure des meilleurs musiciens de jazz, tant français (Eddy Louiss, Pierre Michelot...) qu'internationaux (Ornette Coleman, Marcus Miller...).

 

Sa réaction aux événements de Mai 68 se manifeste dans « Paris Mai », une chanson sur l'angoisse de l'époque, jugée trop subversive pour être diffusée. La même année, il enregistre son premier album live à l'Olympia : « Une soirée avec Claude Nougaro ». Parmi ses œuvres les plus touchantes figure « Toulouse », un hommage à sa ville natale. Il enrichit également son répertoire avec des classiques comme « Armstrong » et « Petit Taureau ».

 

Nougaro, un artiste inspiré

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Claude Nougaro, véritable passionné de jazz, a su capturer l'essence de ce genre musical en mettant des mots sur les mélodies de géants comme Charles Mingus, Thelonious Monk, Wayne Shorter, et bien d'autres. Ses paroles ont dansé sur les notes de Louis Armstrong, Dave Brubeck, Sonny Rollins, apportant une nouvelle dimension à ces compositions légendaires.

 

Mais l'inspiration de Nougaro ne se limitait pas au jazz. Il s'est également laissé séduire par les rythmes envoûtants du Brésil. Nougaro a revisité des chansons de Baden Powell, Gilberto Gil, Chico Buarque, les infusant de son style unique. Des adaptations comme « Tu verras », « Bidonville », et « Brésilien » ont connu un succès populaire retentissant, témoignant de sa capacité à mélanger les genres musicaux avec brio. En outre, Nougaro était un fervent admirateur de la chanson française. Dans son album « Récréation », il rend un vibrant hommage à ce genre, montrant une fois de plus son amour et son respect pour la richesse de la musique française.

Des hauts et des bas

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Dans les années 70, Claude Nougaro s'associe avec le talentueux compositeur arrangeur Jean-Claude Vannier. Ensemble, ils créent des œuvres mémorables telles que « Un grain de folie » et « Dansez sur moi ». Nougaro, toujours en quête de nouveauté, quitte Philips pour Barclay en 1975, et cette période voit naître des succès comme « L'Île de Ré » et l'incontournable « Tu verras ».

Après un album moins apprécié en 1985, « Bleu Blanc Blues », Barclay décide de ne pas renouveler son contrat. Nougaro évoque ce moment dans sa chanson « Mon disque d'été », avec une pointe de mélancolie.

Un nouveau départ

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À la recherche de renouveau, Nougaro vend sa maison à Montmartre et s'envole pour New York. Là-bas, sous la houlette de Philippe Saisse et avec son complice Mick Lanaro, il crée l'album « Nougayork ». En 1987, la chanson titre devient un hit majeur, relançant sa carrière. Cet album aux accents rock séduit le public et la critique, et Nougaro remporte deux Victoires de la musique en 1988.

 

Suivant cette dynamique, il sort l'album « Pacifique » en 1989. Des titres comme « Énergie » connaissent un grand succès. « Toi là-haut » est une ode à son père, et « Toulouse to win » une nouvelle déclaration d'amour à sa ville natale. Cette année-là, Nougaro brille au Zénith de Paris, entouré de musiciens américains.

 

Retour aux sources

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Dans les années 90, avec « Chansongs » et surtout « L'Enfant phare », Nougaro revient à des sonorités plus familières : jazz et rythmes latins. Mais sa santé commence à décliner en 1995, l'année où il subit une opération du cœur. Malgré des projets ambitieux comme l'écriture d'un opéra, il sort en 2000 son dernier album studio, « Embarquement immédiat ».

De 1998 à 2004, Nougaro se consacre davantage aux concerts et festivals. Il participe aussi à l'album du collectif Sol En Si. En 2002, il présente « Les Fables de ma fontaine », un spectacle unique où il déclame ses textes, offrant une expérience poétique et émotionnelle intense. « Chanson pour Marilyn », interprétée a cappella, est l'unique chanson chantée de ce programme, son dernier spectacle.

Et le crabe tua le géant

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Lors de sa dernière tournée en 2002-2003, Nougaro ne chantait plus, il déclamait ses textes, ses « Fables de ma Fontaine ». Seul sur scène, il parcourait la France, mettant en valeur les mots avec sa voix grave et chaude, unique.

 

Celui qui chantait "Dansez sur moi le soir de mes funérailles" était un artiste complet, et un poète passionné. Malgré la maladie qui le rongeait, il restait inébranlable. Se sachant vaincu, Claude Nougaro décida de quitter l’hôpital pour passer ses derniers jours chez lui. Nougaro s'éteint le 4 mars 2004 dans son domicile parisien, emporté par un cancer du pancréas. Il avait 74 ans.

 

Avec un répertoire riche d'une vingtaine d'albums, Nougaro a toujours été un précurseur, à l'affût des sons du monde. Ses dernières contributions, notamment pour l’album « Sol en cirque » au profit des enfants atteints du sida, témoignent de sa générosité artistique.

Ses funérailles ont eu lieu à Toulouse, dans la basilique Saint-Sernin, dont le carillon fît résonner les notes les notes de sa chanson « Toulouse ». Ses cendres furent dispersées dans son fleuve, la Garonne, au cœur de sa ville qu'il aimait tant.

L’album ultime

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Imaginez un soir d'automne 2002, dans l'ambiance feutrée du Bataclan. Claude Nougaro, légende de la chanson française, est là, captivé par la voix du crooner américain Kurt Elling. Ce concert marque un tournant : inspiré par Elling, signé chez le fameux label Blue Note - refuge de géants du jazz comme Miles Davis et John Coltrane - Nougaro décide que son prochain album portera lui aussi l'éclat de ce label mythique.

 

Pour ce projet, il s'entoure de virtuoses : Stéphane Belmondo, André Ceccarelli, et d'autres grands noms. Ils tissent ensemble une toile musicale riche et variée. Mais le destin en décide autrement. En 2003, des problèmes de santé forcent Nougaro à mettre en pause ses spectacles. Pourtant, l'enregistrement de l'album continue, nourri des compositions d'Aldo Romano et d'autres talents.

Début 2004, l'état de santé de Nougaro s'aggrave. Avant de s’éteindre Claude Nougaro fait de cet album, « La Note bleue », son testament musical. Il contient six chansons inédites, des pépites où transparaît toute l'émotion de Nougaro. Parmi elles, « Bonheur », un adieu vibrant porté par des cuivres mélancoliques, et « Eau douce », une ultime confession poétique. « La Note bleue » n'est pas qu'un album ; c'est un voyage, une histoire d'amour entre un artiste et sa passion pour la musique, un dernier cadeau de Nougaro à ses fans et au monde de la musique.