Malik Oussekine : Histoire d'un délit de faciès
20 Rue Monsieur le Prince Paris
"Ils pourront couper toutes les fleurs, mais ils n'empêcheront pas la venue du printemps" Citation de Pablo Neruda inscrite sur la tombe de Malik Oussekine
Malik Oussekine, est un jeune homme qui a trouvé la mort, après avoir été roué de coups par trois policiers. Les faits se déroulent dans la nuit du 5 au 6 décembre 1986, au 20 rue Monsieur le prince, en plein cœur de Paris. Nous sommes en pleine période de manifestations étudiantes qui rejettent le projet de loi Devaquet. La mort de Malik Oussekine suscite une vive émotion dans toute la France, et déclenche une mobilisation étudiante sans précédent.
Ce crime devenu aujourd'hui "l'affaire Malik Oussekine" a non seulement conduit à la démission d'un ministre, mais il a surtout servi à dénoncer le racisme et la violence qui gangrène la police au moment des faits. Cet article retrace les événements qui ont conduit à la mort de Malik Oussekine.
Qui était Malik Oussekine ?
En 1986, Malik Oussekine est âgé de 22 ans et il habite une petite chambre du 17eme arrondissement de Paris. Né en octobre 1964. Il est le benjamin d'une fratrie de sept enfants. C'est un jeune homme courageux qui pratique assidûment le sport, malgré une maladie rénale qui l'oblige à être dialysé régulièrement. Il aime particulièrement jouer au basket, sport auquel il consacre trois séances d'entraînements hebdomadaires. Il voue également une véritable passion à la musique, et a l'habitude de fréquenter les boîtes de jazz du quartier Latin. En décembre 1986, Malik est un étudiant brillant de l'école supérieure des professions immobilières, un jeune homme sans problème, qui aime le sport, jouer de la guitare, et voir des amis. Un jeune homme bien sous tout rapport, qui a eu le malheur de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment.
L'affaire Malik Oussekine
Le contexte : Une loi qui ne passe pas
Manifestation étudiante contre le projet de loi Devaquet
Fin 1986, les étudiants manifestent contre le projet de loi Devaquet. En effet Alain Devaquet alors ministre de l'enseignement supérieur, prévoit de sélectionner les étudiants avant leur entrée à l’université, afin de mettre celles-ci en concurrence. Les étudiants refusent catégoriquement ce type de sélection, et s'y opposent massivement en manifestant pendant plusieurs semaines. Mais le gouvernement ne cède pas, et petit à petit, les affrontements entre étudiants et policiers vont se multiplier.
Intervention des voltigeurs
À la Sorbonne Dans la nuit du 5 au 6 décembre, des CRS évacuent les étudiants de la Sorbonne sans résistance. Les voltigeurs, remis en service par Robert Pandraud, ont pour mission de "nettoyer" les rues après les manifestations. Cette unité de police motorisée est spécialement formée pour assurer le maintien de l'ordre lors de manifestations. Ils sont équipés de motos et armés de matraques pour intervenir rapidement et efficacement. Le 5 décembre 1986, alors que les étudiants manifestaient dans les rues de Paris contre le projet de loi Devaquet, les voltigeurs sont appelés en renfort pour disperser les manifestants.
La poursuite et les coups mortels
Vers minuit Malik Oussekine quitte un club de jazz de Saint Germain des près, dans lequel il vient d'assister à un concert. Dans le quartier, les tensions sont vives entre policiers et étudiants. Malik est pressé de quitter le quartier pour rentrer chez lui. Pourtant, il est pris pour cible par trois voltigeurs. Effrayé Malik Oussekine tente de fuir à pied, mais les policiers qui le pourchassent sont trop rapides. Pourtant grâce à l'aide de Paul Bayzelon, Malik se réfugie dans le hall d'un immeuble. Mais les trois voltigeurs ont tout vu. Paul Bayzelon tente de fermer la porte, mais les policiers parviennent à bloquer la fermeture de la porte avec leurs matraques. A trois contre un Paul Bayzelon ne parvient pas à retenir la porte et les voltigeurs parviennent à pénétrer dans le hall de l'immeuble.
Immédiatement les CRS se jettent sur Malik Oussekine, qui proteste et tente de clamer son innocence. Mais rien y fait, deux policiers le rouent de coups de pied et de matraque. Immédiatement Paul Bayzelon tente de s'interposer, mais il est frappé à son tour par les policiers. Après s'être déchaîné sur Malik, avant de rejoindre leur collègue qui assiste à la scène depuis le trottoir. Au bout d'une dizaine de minutes, les trois voltigeurs quittent les lieux à moto, en laissant derrière eux le corps inanimé de Malik Oussekine.
Mali Oussekine est décédé
Plaque commémorative sur le trottoir devant le 20 de la rue Monsieur-le-Prince.
Malgré l'intervention du SAMU, et les tentatives désespérées des secouristes pour le réanimer, Malik décède au numéro 20 de la rue Monsieur le prince. D'après le rapport d'autopsie établi par un médecin de l'hôpital Cochin, Malik n'a pas survécu aux coups portés contre lui. Ce rapport précise également le jeune homme souffrant d'une insuffisance rénale, ne pouvait pas supporter une telle violence physique.
Conséquences et manifestations
Marche silencieuse le 6 décembre à Paris, suite à la mort de Malik Oussekine frappé par la police
Une marche silencieuse et pacifique est organisée en mémoire de Malik Oussekine dès le lendemain. Ce rassemblement est organisée par le comité de grève de Dauphine va traverser Paris le samedi après-midi. Des milliers de personnes répondent présents à l'appel. Ainsi 30000 étudiants et lycéens vont se retrouver à la Sorbonne pour marcher vers l'hôpital Cochin, avant de rejoindre la place d'Italie. La marche doit se dérouler sans incidents ni banderoles. Le cortège suit simplement une couronne de rose blanche.
Tout se passe comme prévu, jusqu'à ce que de nouveaux affrontements éclatent au quartier Latin. Le même jour, Alain Devaquet démissionne de son poste de ministre de la recherche et l'enseignement supérieur. L'homme se dit choqué par la mort brutale de Malik Oussekine.
Tout s'emballe en trois jours
Dès Le dimanche 7 décembre, la Coordination nationale étudiante appelle à une journée de deuil le lundi 8 et à une grève nationale le mercredi 10 Décembre. Cet appel est soutenu par les principales organisations syndicales, parmi lesquelles la CGT, la FEN et la CFDT. Ainsi le lundi 8 décembre, des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes françaises.
Dans le même temps Jacques Chirac accepte la démission d'Alain Devaquet et annonce le retrait immédiat du projet de loi éponyme. Dans la foulée René Monory annonce également l'abandon des réformes concernant les lycées.
Malik Oussekine et Abdel Benyahia
Manifestation à Paris contre les violences policières à la suite de la mort de Malik Oussekine et d'Abdel Benyahiadel
Le 10 décembre, des marches silencieuses ont lieu à Paris et dans 36 villes françaises en mémoire de Malik Oussekine et Abdel Benyahia. Le parcours parisien qui s'étend de Denfert-Rochereau à Nation, rassemble 600 000 personnes. Des personnes de tout âge, et de toute condition sociale sont venues honorer la mémoire des deux jeunes hommes. Car Malik Oussekine et Abdel Benyahia sont tous les deux décédés le même jour suite à des violences policières. En ce qui concerne Abdel Benyahia, cet Algérien de 20 ans, a été abattu par un policier ivre le 5 décembre.
Une journée dédiée aussi à Abdel
Abdel Benyahia, un Algérien de 20 ans tué par un policier ivre le 5 décembre.
À l’origine la journée du 10 décembre devait être une journée de grève et de protestation contre le projet de loi Devaquet. Mais suite au décès des deux jeunes, elle se transforme en manifestation commémorative. La coordination nationale des étudiants adopte un slogan pacifiste, "plus jamais cela, plus jamais de morts et blessés". Ainsi les syndicats de salariés, les médecins, les avocats, les magistrats, des parents, des retraités vont s'unir aux jeunes. La plupart d'entre eux viennent renforcer le service d'ordre étudiant lors de ces marches.
Au passage du cortège, les manifestants peuvent lire sur un mur « Trop tard ». Ce graffiti résume parfaitement le sentiment général qui règne à l'époque. Le même jour, Malik Oussekine est enterré au cimetière du Père-Lachaise. Suite à ces événements tragiques, le bataillon des voltigeurs motocyclistes de la police nationale est dissous.
Une parodie de procès
L'enquête judiciaire concernant la mort de Malik Oussekine implique le brigadier-chef Jean Schmitt (53 ans) et le gardien de la paix Christophe Garcia (23 ans), deux voltigeurs directement liés au drame. Ils sont jugés aux Assises pour "coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner".
L'avocat général requiert cinq ans de prison dont trois fermes, mais finalement, le 27 janvier 1990 les deux policiers ne sont condamnés qu'à des peines symboliques : respectivement cinq et deux ans de prison avec sursis. Ils évitent ainsi la détention, alors qu'ils étaient déjà restés en liberté pendant les trois années précédant le procès.
L'indignation générale
Portrait d’une des sœurs de Malik Oussekine, Sarah Oussekine dans la salle d'audience lors du procès au Palais de Justice de Paris, France le 22 janvier 1990.
En Belgique, le journal "Le Soir" commente :
"Comme cette condamnation "de principe" paraît dérisoire en regard de ce qui s'est passé !".
La sœur de la victime exprime également son indignation face à cette issue judiciaire :
"Après la parodie de procès, je me suis rendu compte que, dans ce pays qui est le mien, où je suis née, je serai toujours une citoyenne de deuxième zone."
Cette affaire soulève de nombreuses interrogations sur l'équité du système judiciaire et la responsabilité des forces de l'ordre dans la mort de Malik Oussekine. Les peines symboliques prononcées pour les policiers impliqués suscitent la controverse et mettent en lumière la nécessité de réformes pour garantir l'égalité et la justice pour tous les citoyens.
Les voltigeurs ressuscités
37 après la mort de Malik Oussekine, les voltigeurs sont de retour dans les manifestations parisiennes. En effet c'est suite au mouvement des Gilets jaunes en décembre 2018, que ce mode d'action est ressuscité en urgence. D'abord avec les "DAR", détachements d'action rapide (DAR), puis avec les "BRAV-M", les brigades de répression de l'action violente motorisées. Reste à savoir si la violence et le racisme ont totalement disparu dans les rangs policiers.