La Commune de Paris, qui a vu le jour le 18 mars 1871, est souvent célébrée pour son audace révolutionnaire et ses idéaux de justice sociale. Mais son écrasement brutal lors de la Semaine Sanglante, du 21 au 28 mai 1871, demeure l'un des épisodes les plus tragiques de l'histoire française.
Cet article explore en détail cette semaine fatidique, marquée par une répression sanglante, des combats désespérés et des exécutions sommaires, mettant en lumière les événements et les sacrifices des communards, en particulier ceux fusillés au cimetière du Père-Lachaise.
Contexte de la Semaine Sanglante
La Commune de Paris en mai 1871
Barricade rue de la Bonne, butte Montmartre, durant la Commune de Paris de 1871.
En mai 1871, la Commune de Paris est à son apogée, mais aussi sous une pression immense. Depuis sa proclamation le 28 mars, elle a mis en place une série de réformes sociales et politiques ambitieuses. Cependant, le gouvernement de Versailles, dirigé par Adolphe Thiers, n'a jamais reconnu la légitimité de la Commune et se prépare à reprendre la capitale par la force. Les tensions sont palpables, et les Parisiens, bien que déterminés, savent qu'un affrontement décisif est imminent.
Les communards, conscients de l'approche des troupes versaillaises, fortifient leurs positions et érigent des barricades dans les rues de Paris. Leurs préparatifs reflètent une volonté farouche de défendre les idéaux révolutionnaires, mais aussi une profonde inquiétude face à la supériorité militaire de leurs adversaires. La situation est critique, et l'atmosphère est électrique, marquée par un mélange de détermination et d'appréhension.
La Décision d'Adolphe Thiers
Portrait d'Adolphe Thiers en 1872, photographié par Nadar.
Adolphe Thiers, président du gouvernement provisoire basé à Versailles, est déterminé à écraser la rébellion parisienne. Il considère la Commune comme une menace directe à l'autorité de l'État et à l'ordre social. Pour Thiers, il est impératif de reprendre Paris pour restaurer l'ordre et assurer la pérennité de la République conservatrice. Les préparatifs militaires sont minutieux, et les troupes versaillaises sont rassemblées pour une offensive décisive.
Le plan de Thiers est simple mais brutal : attaquer Paris de manière coordonnée et écraser la résistance communarde sans pitié. Les troupes versaillaises, bien équipées et entraînées, sont prêtes à en découdre. Thiers espère que la supériorité numérique et matérielle des forces gouvernementales permettra une victoire rapide et décisive. Cependant, il sous-estime la détermination des communards à défendre leur ville et leurs idéaux.
L'Invasion de Paris
L'Entrée des Troupes Versaillaises (21 mai 1871)
La Villette cernée par les troupes versaillaises, mai 1871.
Le 21 mai 1871, les troupes versaillaises dirigées par le maréchal Mac-Mahon pénètrent dans Paris par la porte de Saint-Cloud. L'invasion commence sous couvert de nuit, surprenant les défenseurs communards. Les forces gouvernementales avancent rapidement, prenant le contrôle des points stratégiques dans les quartiers ouest de la capitale. Les premiers combats éclatent, et la résistance des communards, bien que courageuse, est rapidement submergée.
Les Versaillais, profitant de leur supériorité numérique et de l'effet de surprise, s'enfoncent de plus en plus dans Paris. Les premiers jours de l'invasion sont marqués par des scènes de violence intense, avec des échanges de tirs nourris et des corps jonchant les rues. La panique s'empare de certains quartiers, mais dans d'autres, les communards érigent des barricades et se préparent à une lutte acharnée pour chaque rue et chaque bâtiment.
Les Combats dans les Quartiers (22-24 mai 1871)
Barricade à l'angle des boulevard Voltaire et Richard-Lenoir à Paris. Elle défendit la mairie du 11e arrondissement où se replia la Commune le 25 mai 1871
Les 22 et 23 mai voient les premières grandes batailles dans les quartiers de Paris. Les communards, hommes, femmes et enfants, défendent leur ville avec acharnement. Les barricades deviennent des symboles de la résistance, et chaque rue se transforme en champ de bataille. Les combats sont particulièrement intenses à Montmartre, à Belleville et autour des gares de Saint-Lazare et Montparnasse. Les Versaillais, déterminés à écraser la rébellion, avancent méthodiquement, maison par maison.
Le 24 mai, des incendies ravagent Paris, déclenchés par les bombardements et les obus incendiaires. Les communards, en désespoir de cause, incendient volontairement plusieurs bâtiments emblématiques pour empêcher leur capture par les Versaillais. La prison de la Roquette devient le théâtre d'exécutions sommaires, où des otages, y compris l'archevêque de Paris, Georges Darboy, sont fusillés. Les flammes dévorent l'Hôtel de Ville, le Palais de Justice et d'autres monuments, symboles d'une révolte prête à tout sacrifier plutôt que de se rendre.
Les Massacres et la Répression
Les Exécutions Sommaires
Exécution en masse des communards capturés dans les cours de la caserne Lobau près de l'Hôtel de Ville - Gravure de Frédéric Lix pour L'Illustration du 10 juin 1871
Les exécutions sommaires se multiplient dès les premiers jours de l'invasion versaillaise. Les communards capturés sont souvent fusillés sur place, sans jugement. Les cours des mairies, des casernes et même les jardins publics deviennent des lieux d'exécution. Les troupes versaillaises, obéissant aux ordres de réprimer sans pitié, abattent hommes et femmes, jeunes et vieux, indistinctement. Les récits des témoins décrivent des scènes d'horreur, avec des ruisseaux de sang coulant dans les rues et des cadavres jonchant le sol.
La brutalité de la répression choque même certains contemporains, mais elle est justifiée par Thiers comme une nécessité pour restaurer l'ordre. Les communards sont considérés comme des criminels, des traîtres à la patrie, et aucune clémence n'est accordée. Cette violence aveugle laisse des cicatrices profondes dans la mémoire collective des Parisiens et des générations futures, devenant un symbole de la cruauté d'un pouvoir prêt à tout pour maintenir son autorité.
Les Grandes Exécutions à la Prison de la Roquette
Exécution des otages, prison de la Roquette, le 24 mai 1871
Pour les communards, qui se savent encerclés, la situation devient désespérée. Pour tenter de dissuader le gouvernement versaillais d'attaquer Paris, les communards ont recours à la prise d'otages. Ils espèrent ainsi exercer une pression politique et militaire sur leurs adversaires, tout en frappant un coup symbolique contre les institutions, telles que l'Église conservatrice, qu'ils considèrent comme oppressives. Parmi ces otages se trouve Georges Darboy, l'archevêque de Paris, un proche du gouvernement et membre éminent de l'autorité religieuse. Alors que Paris est en feu, la journée du 24 mai 1871 s’annonce comme l’une des plus violentes de la Semaine Sanglante.
D'abord, les Versaillais, après avoir pris le contrôle de l’intégralité du Quartier Latin, exécutent 700 communards faits prisonniers. En représailles, les communards décident d’exécuter six otages, parmi lesquels se trouve l'archevêque de Paris, Georges Darboy, détenu à la prison de la Roquette. Ces exécutions sommaires, réalisées sans procès, doivent prouver la détermination des communards à répondre avec violence à la répression versaillaise. Les récits de ces exécutions à la Roquette se propagent rapidement, alimentant la haine et le désir de vengeance des combattants versaillais, bien décidés à venger une telle infamie. Toutes ces exécutions exacerbent la brutalité des combats et la spirale de la violence. Les communards, galvanisés par la colère et la douleur, continuent de se battre avec une détermination accrue. Au total, lors de cette Semaine Sanglante, environ une centaine d'otages seront exécutés par les fédérés de la Commune. Paris est devenu un véritable enfer, où dans les deux camps qui s’affrontent, la vie humaine semble avoir perdu toute valeur.
La Bataille du Père-Lachaise
La Défense du Cimetière
Derniers combats contre le cimetière du Père Lachaise le 27 mai 1871, huile sur toile d’ Henri Félix Emmanuel Philippoteaux
Le cimetière du Père-Lachaise, l'un des plus grands et des plus célèbres cimetières de Paris, devient un lieu de combats acharnés lors de la Semaine Sanglante. Le 27 mai, les forces versaillaises lancent une attaque massive pour prendre le contrôle de ce point stratégique. Les communards, bien conscients de l'importance symbolique et stratégique du site, s'y retranchent et érigent des barricades parmi les tombes. Les combats sont féroces, chaque tombeau devenant un rempart, chaque allée un champ de bataille.
Les communards, bien que largement inférieurs en nombre et en armement, résistent avec une bravoure remarquable. Les tirs résonnent à travers le cimetière, et les obus explosent, projetant des éclats de pierre et de marbre. Les tombes de célèbres personnalités deviennent des points d'appui pour les défenseurs, ajoutant une dimension tragique et poignante à la lutte. La défense héroïque du Père-Lachaise devient rapidement une légende, symbolisant la résistance désespérée mais déterminée de la Commune.
Les Fusillés du Père-Lachaise
Exécution au Mur des Fédérés, Cimetière du Père-Lachaise, le 28 mai 1871.Dessin d’Alfred Darjou entre 1871 et 1874.
Le 28 mai, après des heures de combats acharnés, les troupes versaillaises prennent finalement le contrôle du cimetière du Père-Lachaise. Les communards capturés sont rassemblés contre le mur est du cimetière, aujourd'hui connu sous le nom de mur des Fédérés. Là, en rangs serrés, ils sont fusillés en masse. Les balles percent les corps, et les cadavres s'effondrent les uns sur les autres, créant une scène de carnage indescriptible. Cet événement marque l'un des épisodes les plus tragiques de la Semaine Sanglante.
Les témoignages des survivants et des témoins de ces exécutions sont poignants. Ils décrivent des hommes et des femmes, souvent jeunes, qui affrontent la mort avec une dignité et un courage remarquables. Certains chantent "La Marseillaise" ou crient des slogans révolutionnaires jusqu'à leur dernier souffle. La brutalité de ces exécutions, perpétrées dans un lieu consacré au repos éternel, ajoute une dimension symbolique et émotive à la tragédie. Le mur des Fédérés devient un mémorial vivant de la lutte et du sacrifice des communards, gravé dans la mémoire collective.
Ce massacre marque également un tournant dans la répression versaillaise, montrant jusqu'où le gouvernement de Thiers est prêt à aller pour écraser la rébellion. Les fusillés du Père-Lachaise deviennent des martyrs de la Commune, et leur mémoire est commémorée chaque année par des rassemblements au cimetière. Le mur des Fédérés, où tant de vies ont été fauchées, reste un symbole puissant de la résistance et du sacrifice, rappelant les idéaux pour lesquels ces hommes et femmes ont combattu et sont morts.
La Chute de la Commune et les Dernières Résistances
Les Dernières Barricades
Malgré la prise du Père-Lachaise, la résistance des communards ne faiblit pas. Les 27 et 28 mai, les derniers bastions de résistance se concentrent dans les quartiers est de Paris, notamment à Belleville et Ménilmontant. Les communards, retranchés derrière des barricades de fortune, continuent de se battre avec une détermination farouche. Les combats sont d'une violence inouïe, chaque rue et chaque maison devenant le théâtre de confrontations sanglantes.
Les ultimes résistances montrent l'esprit indomptable des communards, prêts à mourir pour leurs idéaux. Les barricades, érigées à la hâte avec des pavés, des meubles et des débris, sont défendues pied à pied. Les récits de ces derniers combats témoignent de la bravoure et du désespoir des insurgés, conscients que la défaite est inévitable mais refusant de se rendre sans lutter jusqu'au bout. Cette résistance acharnée souligne la profondeur de leur engagement et de leur conviction.
La Capitulation et la Fin des Combats (28 mai 1871)
Le 28 mai, la dernière barricade tombe, marquant la fin officielle de la Commune de Paris. Les troupes versaillaises contrôlent désormais toute la ville, et les communards survivants sont soit capturés, soit exécutés, soit contraints de fuir. Les conditions de la reddition sont brutales, sans aucune possibilité de négociation ou de clémence. Les rues de Paris sont jonchées de cadavres, témoignant de l'ampleur du massacre.
La fin des combats laisse Paris exsangue, marquée par la dévastation et le deuil. Les survivants, tant civils que combattants, font face à des représailles impitoyables. Les témoignages des habitants de Paris après la chute de la Commune décrivent une ville en deuil, où le bruit des canons a laissé place à un silence lourd de tristesse et de terreur. La Semaine Sanglante s'achève, mais son impact perdurera longtemps dans les mémoires.
La Répression après la Semaine Sanglante
Les Arrestations Massives et les Procès Expéditifs
Conseil de guerre dans le manège de la Grande Ecurie de Versailles pour juger les communards prisonniers, 1871.
Avec la chute de la Commune, la répression ne s'arrête pas. Elle prend même une nouvelle ampleur. Des milliers de communards sont arrêtés et entassés dans des prisons surpeuplées. Les conditions de détention sont souvent inhumaines, marquées par la surpopulation, la malnutrition et les mauvais traitements. Les autorités de Versailles organisent des procès expéditifs, où les condamnations sont prononcées en masse et sans véritable défense.
Les communards, jugés pour rébellion, trahison et actes de violence, sont souvent condamnés à mort, à la déportation ou à de longues peines de prison. Les tribunaux militaires ne cherchent pas la justice, mais l'exemple, pour dissuader toute future insurrection. Les procès sont une parodie de justice, où la culpabilité est présumée et la défense quasi inexistante. Cette répression judiciaire ajoute une dimension supplémentaire à la tragédie de la Commune.
Les Déportations et les Emprisonnements
Prison des Chantiers, le 15 août 1871, Versailles. Photo de Eugène Appert. La 2e personne debout à droite avec les bras croisés est Louise Michel.
En plus des exécutions, de nombreux communards sont déportés vers des colonies pénitentiaires, principalement en Nouvelle-Calédonie. Les conditions de voyage et de détention sont épouvantables. Les déportés, entassés sur des navires, souffrent du scorbut et d'autres maladies, aggravées par la malnutrition et les conditions insalubres. La déportation est une sentence particulièrement cruelle, équivalant souvent à une condamnation à mort lente.
Les communards déportés endurent des conditions de vie extrêmement dures dans les colonies. Ils sont forcés de travailler dans des camps de travail, souvent dans des conditions de quasi-esclavage. Les lettres et les témoignages des déportés décrivent une vie de souffrance et de désespoir, loin de leurs familles et de leur patrie. L'amnistie partielle de 1879 permet à certains de revenir, mais beaucoup ne survivent pas à l'exil. Cette répression post-Commune marque profondément la société française et laisse une cicatrice indélébile dans l'histoire du pays.
Un Symbole eternel de lutte
Le Front populaire défile devant le Mur des Fédérés, Messieurs Cachin, Léon Blum, Thorez, et Duclos saluent les manifestants qui défilent devant eux, au cimetière du Père Lachaise à Paris, France le 24 mai 1936.
La Semaine Sanglante, épisode final et tragique de la Commune de Paris, reste un symbole puissant de la lutte pour la justice sociale et la démocratie. Les communards, malgré leur défaite, ont laissé un héritage durable, inspirant les mouvements révolutionnaires à travers le monde. Les événements de la Semaine Sanglante, marqués par une répression brutale et des sacrifices immenses, rappellent les dangers de l'autoritarisme et l'importance de la résistance contre l'oppression.
Aujourd'hui, le mur des Fédérés au cimetière du Père-Lachaise demeure un lieu de mémoire et de commémoration, où chaque année, des milliers de personnes viennent rendre hommage aux martyrs de la Commune. La Semaine Sanglante, par sa violence et son héroïsme, continue de résonner comme un appel à la justice et à l'égalité, rappelant que la lutte pour un monde meilleur nécessite souvent des sacrifices énormes. En revisitant cette période, nous honorons la mémoire des communards et perpétuons leur rêve d'un avenir plus équitable et solidaire.
Image de couverture : "Une rue de Paris en 1871", huile sur toile de Maximilien Luce